Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Quand la chimie pollue le cerveau de nos enfants
Endocrinologue, professeur au Laboratoire d’Évolution des régulations endocriniennes au Museum d’histoire naturelle de Paris, le Pr Barbara Demeinex présidait la «Rentrée Solennelle 2 017 » de la Faculté de médecine de Nice. À cette occasion elle tenait une conférence sur les perturbateurs endocriniens. Un domaine que cette biologiste connaît parfaitement bien. Elle a ainsi mis au point une technique utilisant des têtards transgéniques, qui changent de couleur en présence de polluants. En octobre dernier, elle publiait par ailleurs : Cocktail toxique : comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau, aux Éditions Odile Jacob.
Une définition des perturbateurs endocriniens (PE) ? Il s’agit d’une famille de molécules issues de la chimie industrielle. Elles sont ainsi appelées parce qu’elles ont la capacité d’interférer avec le système hormonal. Certaines d’entre elles peuvent notamment perturber le fonctionnement des hormones thyroïdiennes.
Où les trouve-t-on ? Il peut s’agir de pesticides présents dans la chaîne alimentaire et l’environnement, de plastifiants comme les phtalates ou le bisphénol A, de retardateurs de flamme à base de brome, utilisés comme ignifuge dans les meubles rembourrés, d’imperméabilisants ou des perchlorates, etc. Tous ces produits chimiques ont été multipliés par au cours des dernières années ; nous y sommes exposés des centaines de fois au cours de notre existence.
Comment apporter la preuve d’une corrélation entre l’augmentation de certaines maladies, comme le cancer, et l’exposition à ces polluants ? Ce n’est pas toujours simple. Pour « justifier » l’augmentation importante de l’incidence du cancer du sein, certains peuvent pointer l’amélioration du diagnostic, les progrès de la mammographie… Mais, on constate que c’est aussi le cas du cancer du testicule – alors qu’il n’y a pas pour ce type de cancer de dépistage ! Lorsqu’on s’intéresse à l’autisme, on est aussi frappé par la progression vertigineuse de ce trouble : aux États-Unis, l’autisme affectait un garçon sur en , un sur en , un sur aujourd’hui ! Les troubles de l’attention progressent eux aussi de façon inquiétante ; % des garçons aux États-Unis souffriraient aujourd’hui d’hyperactivité. Notre génome n’a pas changé en quelques décennies ! Il s’agit bien de l’effet de l’environnement.
L’implication des PE dans la progression des cancers dont le développement est influencé par des mécanismes hormonaux (sein, prostate, testicule…) est aisée à comprendre. Mais quel lien avec le cerveau ? On sait depuis très longtemps que le manque, d’origine congénitale, d’hormones thyroïdienne, provoque le crétinisme chez l’enfant. Les hormones thyroïdiennes sont impliquées dans l’activation des gènes qui participent à la construction de structures cérébrales comme le cortex ou l’hippocampe. C’est donc en altérant le fonctionnement de la thyroïde maternelle que ces substances chimiques peuvent produire leurs effets sur le foetus, en particulier au début de son développement, lorsque celui-ci n’a pas encore sa propre thyroïde.
Vous évoquez aussi un rôle des PE dans le déclin des capacités cognitives? Certaines études, menées notamment en Finlande ont mis en évidence une baisse de points du QI (quotient intellectuel) dans la population générale. Les hormones thyroïdiennes sont déterminantes pour le QI de l’enfant à la naissance mais aussi la structure du cerveau, surtout pendant les trois premiers mois de vie.
Quel poids pour les futures mamans… Des expériences, menées à Nice notamment, ont mis en évidence dans le sang et l’urine des jeunes mamans, de nombreux produits chimiques ressemblant aux hormones thyroïdiennes. Combien d’entre eux interfèrent avec nos propres hormones, quel est l’impact de cette interférence sur le développement du cerveau des enfants ? Comment les identifier ? Toutes les femmes qui envisagent une grossesse devraient dès à présent mesurer leurs hormones thyroïdiennes.