Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Artisans : « Les chaînes veulent notre peau »
Marie, en voilà un joli prénom. Seulement si on l’accole à Blachère, groupe tentaculaire basé à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), le charme se change en frémissements pour certains. Ses centaines d’enseignes plantées dans l’Hexagone suite à de pointues études de marché, dérangent au sein de la profession. Ne pas compter sur ses dirigeants pour aborder sa « stratégie » ou sa «réussite», chez eux, c’est motus et bouche cousue. « Ils sont très indépendants et discrets», concède Matthieu Labbé (lire par ailleurs, page précédente) qui les représente au sein de sa fédération professionnelle.
Montauroux roulé dans la farine
S’il a fait florès, le concept créé en 2004, basé sur la fraîcheur et des offres promotionnelles à gogo, produits achetés/produits offerts, est marqué par une politique agressive qui se joue de la concurrence. Leurs installations sans ambages provoquent régulièrement un tollé chez leurs homologues présents de longue date. Exemple récent: avec déjà six boulangeries pour 6 000 habitants, l’arrivée programmée sur la D562 à Montauroux fait rager. « Ils s’installent, vendent une baguette presque deux fois moins chère que nous et font des promotions à tout va. Chez eux, un magasin peut se permettre d’être déficitaire pendant deux ans. Pendant ce temps, les boulangeries traditionnelles perdent des clients et ferment les unes après les autres. Et eux restent seuls ! », s’indigne un professionnel du cru.
Un maire aussi muet que Marie B…
De son côté, le maire Jean-Yves Huet, qui parlait d’un « projet inacceptable » (nos éditions de juin 2017) demeure en ce début d’année muet sur la question, malgré de multiples relances, pour défendre les professionnels de son village… À Sainte-Maxime, route du Plan-de-la-Tour, Marie Blachère n’a pas pris de gants pour se poser au milieu de deux points de vente situés à quelques mètres, Saines saveurs et Maître Julien. Pour l’heure, ils résistent toujours. « L’arrivée d’un nouvel opérateur peut perturber un marché existant, mais ils sont super-innovants et collent aux attentes des Français. Il faut vivre avec son temps, élargir sa gamme, soigner la déco pour exister aujourd’hui…», défend Matthieu Labbé. « Blachère ? C’est merveilleux mais ça dévalorise le produit. On se croirait à passer des barils de lessive. Un acheté, un offert ! De toute ce n’est pas sur le pain qu’ils font leur marge », raille le Toulonnais Gérard Pellati, président du Syndicat des patrons boulangers du Var. «Il ne fait aucun doute que la plupart des produits, en dehors du pain, sont d’origine industrielle. La clientèle vient avant tout pour le prix… pas pour le goût », commente un client averti. Avoir exercé pendant ans à Toulon permet à Gérard Pellati de déployer son argumentation avec recul. Et tact. Président depuis une vingtaine d’années du Syndicat des patrons boulangers et pâtissiers du Var, il parle d’un ton débonnaire du différend avec les chaînes de boulangeries. « Naturellement qu’elles veulent notre peau... Mais nous sommes encore majoritaires dans la distribution et les créations d’enseignes continuent », opine-t-il de sa retraite toulonnaise.
À quand les administrations en / ? « On s’oriente vers une dérégulation générale des commerces… On nous dit “Ouvrez sept jours sur sept !”. Très bien. Je me languis que les administrations et les mairies fassent pareil ! », plaisante-t-il. Avant de reprendre son sérieux pour reconnaître : « Plus de la moitié des boulangeries artisanales sont tenues par des couples qui font largement plus de heures, ont quelques salariés et n’ont pas l’équilibre économique pour embaucher encore. Bien sûr que tout le monde veut du pain frais tous les jours. Faut-il encore tenir compte des réalités du monde du travail… ».
Paupérisation des commerces En attendant le prévisible phénomène de cannibalisation entre grandes chaînes, le responsable observe le phénomène suivant : « Lorsqu’un grand distributeur s’installe, les habitants sont contents mais cela paupérise les autres commerces et ils finissent avec un seul boulanger ». « Où est le choix ? », regrette ce retraité qui voit aussi dans l’achat d’une baguette craquante un morceau de convivialité et de chaleur humaine. Qui, convenons-en, chez la plupart des chaînes, adeptes du service survolté, pris entre la vente et la mise en rayon des produits, fait cruellement défaut.