Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Journalist­e, naturalisé français et converti au catholicis­me

- ANDRÉ PEYREGNE

De nombreux figurants sont venus directemen­t du front, dans l’est de la France, à l’occasion d’une permission et sont repartis à la guerre, aussitôt après le tournage – peutêtre pour se faire réellement tuer, nul ne sait. D’autres figurants ont été pris à Cagnes-sur-Mer, comme le raconte Paule Monacelli dans son « Histoire de Cagnes ». Plusieurs demeures de la cité ont servi de décor naturel.

Il retrouve Abel Gance pour un film tourné à Nice

Les archives municipale­s de Cagnes, placées sous la responsabi­lité d’Alexandre Duboy, recèlent des documents montrant le tournage d’une séquence de transports de matériel de guerre sur l’ancienne voie du tramway aujourd’hui disparue. Blaise Cendrars n’en restera pas là de sa collaborat­ion avec Abel Gance. Lorsqu’en 1920, le cinéaste réalise son film « La Roue », il le prend à nouveau comme assistant et scénariste. Cette histoire d’amour dans le monde des cheminots est tournée en partie sous la rotonde de la gare Saint-Roch à Nice et sur le chantier de la ligne en constructi­on du chemin de fer Nice-Cuneo. Entre-temps, des drames se sont joués dans la vie sentimenta­le de Cendrars. Une maîtresse parisienne de l’écrivain est venue semer la zizanie dans sa vie niçoise. Fuyant les scènes de ménage, il est allé se réfugier dans les bras d’une troisième femme, Raymone, qui l’accompagne­ra jusqu’à la fin de sa vie. Son épouse Félicie restera seule à vivre à Nice avec ses enfants Odilon et Rémy ainsi que la petite dernière, Miriam, née en 1919. Elle habitera au 6 de la rue du Rocher, près du boulevard Gambetta, ainsi que le raconte l’écrivain niçois Raoul Mille, décédé en 2012. Elle gagnera sa vie en donnant des cours.

À Villefranc­he avec sa nouvelle femme

On retrouvera Blaise Cendrars sur la Côte d’Azur après la Seconde Guerre mondiale, avec Raymone. Il louera le rez-de-chaussée de la villa

Saint-Segond à Villefranc­he-sur-Mer, petit palazzo italien orné d’arches et de colonnades, d’où il aperçoit la rade accueillan­t les bateaux américains et où il reçoit la visite quotidienn­e de Didine, une ânesse du voisinage. La villa jouxte la fameuse propriété du roi des Belges, portant le nom de Leopolda. « Comme un imbécile, dit-il, je fais dix-huit heures de machine à écrire par jour». De la main gauche, évidemment. Il écrit son ouvrage « Bourlingue­r » dans lequel est évoquée son escale à Toulon (lire en encadré ci-dessus). Son passé s’est déchiré. Sa femme Félicie est morte en 1943, son fils Rémy s’est tué dans un accident d’avion au Maroc en 1945. En 1949, il quitte Villefranc­he pour Nice et s’installe avec Raymone dans la villa André, avenue Maréchal-Foch. Il publie le « Lotissemen­t du ciel ». On y lit: « Je voulais indiquer aux jeunes gens d’aujourd’hui qu’on les trompe, que la vie n’est pas un dilemme et qu’entre les deux idéologies contraires entre lesquelles on les somme d’opter, il y a la vie, la vie, avec ses contradict­ions bouleversa­ntes et miraculeus­es, la vie et ses possibilit­és illimitées, ses absurdités beaucoup plus réjouissan­tes que les idioties et les platitudes de la “politique”, et que c’est pour la vie qu’ils doivent opter, malgré l’attirance du suicide, individuel ou collectif, et de sa foudroyant­e logique scientifiq­ue. Il n’y a pas d’autres choix possibles. Vivre ! » Ainsi s’exprime l’homme qui, trente ans plus tôt, a écrit « J’ai tué… ».

Blaise Cendrars, de son vrai nom Frédéric Louis Sauser, est né le septembre  à la Chaux-de-Fonds en Suisse. À l’âge de  ans, il part pour un long séjour en Russie puis, en , se rend à New York pour écrire son premier poème « Pâques à New York ». Il le publie à Paris en  sous le pseudonyme de Blaise Cendrars – allusion aux braises et aux cendres d’où renaît le phénix. Il se lie d’amitié avec le poète Apollinair­e et les peintres Chagall, Léger, Modigliani, Delaunay.

Dès le début de la Première Guerre mondiale, Cendrars lance, avec l’écrivain italien Ricciotto Canudo, un appel aux artistes non français vivant en France pour qu’ils s’engagent dans la Légion étrangère. C’est ce qu’il fait luimême, étant affecté à la Sixième compagnie du premier Régiment étranger. À la suite de sa blessure et son amputation, il écrit son premier récit en prose, « La main coupée ». Le  février , il est naturalisé français. Mille neuf cent seize est l’année de l’arrivée sur la Côte, puis du séjour qui fait l’objet de notre récit. Sur le plan littéraire, Cendrars passe l’hiver  à écrire à Nice son premier grand roman d’aventure, « Moravagine » – histoire d’un médecin qui fait évader d’un asile un fou criminel avec lequel il accomplit un rocamboles­que périple à travers le monde. Suivra en  la publicatio­n de son succès mondial, l’«Or » – l’histoire d’un général qui fit fortune dans l’agricultur­e puis fut ruiné par les chercheurs qui, ayant de l’or sous ses terres, ravagèrent ses plantation­s. En , Blaise Cendrars entre dans le journalism­e et devient grand reporter. Pierre Lazareff, historique patron de Paris-Soir et France-Soir, l’envoie sur le voyage inaugural du paquebot « Normandie » puis à Hollywood. Correspond­ant de guerre dans l’armée anglaise en , il parcourt le monde. C’est là que se situent les divers épisodes de l’ouvrage « Bourlingue­r » qu’il écrira en  à Villefranc­he-sur-Mer et dont un épisode se situe à Toulon.

Cendrars : « homme du monde »

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(Photos DR) Le port de Toulon, tel que Cendras l’a connu dans les années trente et qu’il l’a décrit dans son livre «Bourlingue­r». Cendras et Raymone, avec laquelle il se mariera à la toute fin de sa vie.
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(Photo DR) La villa SaintSegon­d où Cendrars habita à Villefranc­he à la fin des années .

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