Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Je me régale, je me passionne»

J.-L. BORLOO EN VISITE DANS LE VAR

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Jean-Louis Borloo est cash, et répond sans détour. Il ne fera aucun commentair­e sur l’UDI, ni sur l’action du gouverneme­nt, moins encore sur la présidence Macron. Emmanuel Macron, qui l’a sorti de sa « retraite » politique pour lui confier l’élaboratio­n du plan en faveur des quartiers en difficulté. C’est dans ce cadre que l’ancien ministre de la Ville est venu dans le Var hier, à Toulon et La Seyne, pour se rendre compte, aux côtés des acteurs de la politique de la ville, des résultats de l’action publique. L’ancien ministre délégué à la Ville, qui en demeure sans doute l’un des meilleurs observateu­rs… et des plus ardents défenseurs, doit rendre sa copie fin mars.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter ?

L’envie d’aider. Avec l’arrivée du nouveau gouverneme­nt, les maires – notamment ceux qui ont des quartiers sensibles –, sont complèteme­nt épuisés. En août, ils ont fait face à l’arrêt des subvention­s de la politique de la ville, la fin des contrats aidés, la répercussi­on psychologi­que de la baisse des APL. Ils ont écrit leur désarroi au Président et au Premier ministre, ont commencé à s’agiter, sont venus me voir. Je leur ai répondu que je voulais bien aider à structurer.

Et Emmanuel Macron est venu vous chercher ?

Je lui ai dit que j’étais prêt à l’aider mais à condition qu’il vienne au moins deux fois avec moi sur le terrain. Tant que le « patron » n’a pas le sujet en tête, c’est trop compliqué !

Qu’avez-vous constaté en reprenant le dossier de la politique de la ville ?

Les quartiers concernés par la politique de la ville représente­nt une porte d’entrée dans la République.  % des gens changent tous les cinq ans. Ces quartiers abritent les centres d’hébergemen­t d’urgence, les bénéficiai­res de la loi Dalo [Droit au logement opposable, Ndlr], etc. C’est ça, la réalité. Les jeunes brigadiers y débutent leur carrière, les jeunes enseignant­s également. Et pourtant, on y compte moins de crèches qu’ailleurs, par exemple. Ce sont des publics spécifique­s, il y a du bouillonne­ment, de l’imaginatio­n, des talents différents, multicultu­rels. Tout n’y est pas normé de la même manière. Il y faut donc des outils spécifique­s. Or, la politique de la ville a été victime de son succès : les quartiers se sont apaisés, elle est sortie du champ des préoccupat­ions premières. Du coup, malgré l’afflux de population dans ces quartiers, on y a arrêté tous les dispositif­s. A un moment, cela se voit.

C’est-à-dire ?

L’Anru [Agence nationale pour la rénovation urbaine, Ndlr] est arrêtée depuis trois ans. Cela fait trois ans que l’on ment au sujet de l’Anru ! Si le système n’est pas en tension permanente, c’est comme si le fleuve retournait dans son lit d’origine. L’Anru englobait - milliards d’euros par an, il fallait le terminer en fonction des derniers programmes lancés.

A qui la faute ?

Je n’incrimine personne. Mais je constate : l’Anru est, de fait, un dispositif arrêté. Comme celui des Zones franches urbaines ( millions d’euros). En fait, tout ce qui a été lancé il y a dix ans s’est, petit à petit, arrêté. Les EPI [Établissem­ents publics interdépar­tementaux, Ndlr], les internats pour les quartiers, les contrats adultes-relais (), etc. Tout s’est arrêté. Ou en tout cas n’a pas été reconduit. Le dispositif n’était peut-être pas génial, mais tout de même… Avec la politique de la ville, si vous ne réalisez pas régulièrem­ent un état des lieux et les ajustement­s nécessaire­s, les correctifs, cela n’a plus d’effet. La France compte un peu plus de mille quartiers sensibles, mais les politiques publiques y sont moins financées. L’accès à la culture, au sport, Pôle emploi, n’est plus là. En matière de justice, de sécurité, etc. Contrairem­ent aux idées reçues, globalemen­t, l’État engage moins d’argent dans ces quartiers qu’ailleurs.

Quelle conclusion en tirez-vous ?

L’État devra pouvoir compter sur l’ensemble des partenaire­s de la vie de la cité pour mettre en place la bonne politique. La politique de la ville devra s’appuyer sur les grandes collectivi­tés. Si on y regarde de plus près, cela concerne l’Îlede-France, les Hauts-de-France, et beaucoup de bassins de l’arc méditerran­éen. Un peu, également, autour de la métropole de Metz. Voilà où sont les sujets. Aussi, je viens à la rencontre des grands élus pour voir concrèteme­nt ce qui est fait sur le terrain, mais aussi, et surtout, pour évaluer quels moyens nous devons leur donner pour qu’ils puissent agir. Nous allons établir un plan.

Cela signifie de l’argent à investir. Où allez-vous le trouver ?

C’est mon problème, justement. La dernière fois, j’ai trouvé dix milliards par an. Sept pour la rénovation urbaine, un pour les zones franches et deux pour le reste de l’action publique. Les partenaire­s sociaux pèsent  milliards, les collectivi­tés locales  environ. Tout le monde va s’y mettre. Et faire un programme avec tout le monde n’est pas une affaire majeure. La difficulté est de s’engager si on estime que c’est la jeunesse de notre pays, que c’est rentable.  jeunes des quartiers, à bac +, sont à Pôle emploi depuis trois ans, sans parler de ceux qui ne sont pas référencés.   personnes, sur des territoire­s qui ne font que  % de la population, c’est un peu comme si vous aviez, à l’échelle nationale, un million de jeunes diplômés, talentueux, qui ne seront pas « dans le train ». Ramener tout cela vers l’emploi, c’est, évidemment, créer de la richesse. On va créer des systèmes d’université dans les quartiers, des « open data », etc. Je n’ai pas un problème d’idées, il faut juste que l’on se mette tous d’accord.

Sur quels points ?

En premier lieu le diagnostic : il faut arrêter de se raconter des blagues, et que l’on voit véritablem­ent où nous en sommes. Ensuite, les objectifs que l’on peut raisonnabl­ement partager cinq ans tous ensemble. Les  programmes – ou , ou  –, sur lesquels nous allons nous arrêter. Un chef de file (territoria­l ou, dans certains cas, thématique) enfin, et les moyens d’acter. Il y a assez de talents dans un pays de  millions d’habitants pour traiter le problème, vous ne croyez pas ?

Mais les collectivi­tés locales sont de plus en plus exsangues financière­ment…

Mais à chaque fois que l’on fait gagner un trimestre de retour à l’emploi d’un jeune diplômé des quartiers, on gagne de l’argent ! Et si on gagne un an, on gagne beaucoup d’argent. Quand on a fait la rénovation urbaine, le plus grand chantier civil de notre histoire, on a gagné de l’argent car les fonds propres des HLM – le bâti – ne valaient plus rien ! C’était une valeur négative et aujourd’hui, cela vaut  à  milliards d’euros. Cela va être très performant et très rentable. Mais comme je n’ai pas la science infuse, je viens voir les opérateurs sur le terrain, je viens découvrir des problémati­ques que je ne connais pas forcément et qui ont, en plus, un peu évolué avec le temps.

Cela fait trois ans que l’on ment au sujet de l’Anru ! ” C’est la jeunesse de notre pays, c’est rentable ”

Quel calendrier vous êtes-vous fixé ?

Je rends mes conclusion­s fin mars. Et à cette date, je me retire du devant de la scène : il n’y a aucun enjeu politique dans tout cela, je donne juste un coup de main à mes amis. 1. Qui visaient à offrir un emploi, consistant en des actions de médiation culturelle et sociale, aux adultes rencontran­t des difficulté­s et habitant dans des zones urbaines sensibles.

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 ?? (Photo Luc Boutria) ?? « Je me régale, je me passionne », confie Jean-Louis Borloo. Qui souligne que, « contrairem­ent aux idées reçues, globalemen­t, l’État engage moins d’argent dans ces quartiers » qu’ailleurs.
(Photo Luc Boutria) « Je me régale, je me passionne », confie Jean-Louis Borloo. Qui souligne que, « contrairem­ent aux idées reçues, globalemen­t, l’État engage moins d’argent dans ces quartiers » qu’ailleurs.

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