Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Alpes-de-Haute-Provence : faïence et légendes à Moustiers

- La conférence ANTHONY SALOMONE RECUEILLI PAR RÉGINE MEUNIER

Encore aujourd’hui, déambuler dans les ruelles du charmant village de Moustiers-SainteMari­e est un voyage dans le monde de l’artisanat. Située dans le départemen­t des Alpes-de-Haute-Provence, cette destinatio­n (à environ deux heures de Nice et de Toulon) attire surtout les touristes en quête de sensations fortes dans les gorges du Verdon. Ils ignorent bien souvent qu’ils arrivent dans une cité référence de la faïence. Cet art de la céramique désigne une poterie de terre cuite argileuse émaillée ou vernissée. Les premières production­s datent du XIe siècle en Irak et se sont diffusées en Perse, en Egypte et en Espagne. De là, elles ont continué leur chemin dans toute l’Europe et notamment en Italie durant la Renaissanc­e. Le mot faïence vient d’ailleurs de Faenza, ville située dans la province de Ravenne, dans le nordest de l’Italie. Il en existe plusieurs Nice : « Faste des jardins italiens aux XVe et XVIe siècles » types, dont les principale­s sont la fine et la stannifère. Cette dernière technique, qui consiste à recouvrir une terre cuite d’émail blanc à base d’étain, est la spécialité de Moustiers. L’histoire de la céramique dans ce village du Verdon commence en 1679 avec l’arrivée de Pierre Clérissy, qualifié de « maître faïencier ».

Remplacer l’or et l’argent

Dans ses ateliers, ce potier exploite les terres argileuses locales et les recouvre d’émail blanc, secret qu’un moine italien de passage à l’abbaye de Lérins lui a laissé. Sa descendanc­e reprend le flambeau et accroît la renommée de la faïence moustiérai­ne dans toute l’Europe. Elle devient à la mode auprès de l’aristocrat­ie, obligée par Louis XIV (1638-1715) de faire fondre toute son argenterie et sa vaisselle en or afin de financer les guerres très coûteuses du roi de France. De plus, la faïence reste moins onéreuse que la porcelaine chinoise, dont le procédé de fabricatio­n reste ignoré par les artisans européens jusqu’au XVIIIe siècle. Les peintures de Gaspard ou de François Viry sont très appréciées et mettent en valeur une faïence de Moustiers réputée fine et légère. Sa notoriété trouve son apogée à partir de 1710, avec l’arrivée du style Bérain. Ce décor tracé en camaïeu bleu s’inspire des gravures des ornementis­tes de Louis XIV et demeure à la mode jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. En 1737, la polychromi­e et les décors Ollioules : serrures, cadenaseet clés du XIe au XVIII siècle grotesques, inspirés de l’art chinois, avec des figures humaines ou des représenta­tions naturalist­es, sont introduits par Joseph Olérys qui s’associe avec son beaufrère Jean-Baptiste Laugier pour créer une nouvelle fabrique. Par la suite, d’autres célèbres manufactur­es voient le jour, comme celles de Pelloquin et Fouque, des Féraud ou des frères Ferrat. Mais cet âge d’or prend fin avec la Révolution et la concurrenc­e des faïences anglaises, principaux responsabl­es de la baisse de la production moustiérai­ne. Il faut attendre 1927 pour que Marcel Provence, le bien nommé, rallume un four du village pour relancer une économie qui s’était perdue. Cet ouvrage collectif, coordonné par Julie Le Gac et Fabrice Virgili va de l’Italie au Royaume-Uni en passant par la Suède, l’Allemagne, la France et autres pays européens. Il évoque à travers des discours, des correspond­ances, des essais... l’histoire de ces femmes qui « vivent toutes dans des sociétés où s’impose la domination masculine. La légitimité du pouvoir, de la parole, de l’aisance est du côté des hommes. Pour prendre une place à leur égal des hommes, il leur faut se battre et aussi aller contre ce que pendant des décennies on leur a appris comme petite et jeune fille : être plus sage, plus douce, attentive à leur apparence, aider à la maison, au risque d’être sinon des « garçons manqués » comme la célèbre Fifi Brindacier présente dans le recueil » explique Fabrice Virgili.

Pourquoi commencer votre ouvrage au XVIIIe siècle ? Julie Le Gac : Avec le XVIIIe siècle et Les Lumières, la différence entre hommes et femmes qui jusque là était davantage expliquée par le divin « Adam et Eve », commence à l’être par la Nature. Penseurs et savants décrivent les femmes non seulement comme différente­s mais inférieure­s et cela dans tous les domaines du savoir: médecine, arts, caractères, etc. En réaction, des revendicat­ions se font entendre pour une plus grande égalité.

Qu’est-ce qui a changé depuis ? Fabrice Virgili : Le changement est à la fois lent et considérab­le. Au fur et à mesure, elles conquièren­t des droits politiques. Les premières femmes à voter en Europe sont les Norvégienn­es en , tandis que les Le musée de la faïence, fondé en 1930 et rénové en 2014, se visite les week-ends à partir de février, de 10hà12h30e­tde14hà17h.Ily a quatre ans, ses collection­s ont été enrichies grâce à la donation du collection­neur Pierre JourdanBar­ry. Il existe encore plus d’une dizaine d’ateliers de faïencerie au sein du village, dont certains peuvent être visités. L’étoile de Moustiers d’un mètre quinze de diamètre, suspendue au-dessus du village par une chaîne longue de cent trente-cinq mètres, est une curiosité à ne pas rater, évocatrice de près d’une vingtaine de légendes ! La première mention attestée dans une source historique date de 1636. Le prêtre Simon Bartel explique qu’un chevalier de Rhodes serait à l’initiative de l’installati­on de l’étoile, mais, à ce jour, ces faits ne sont pas corroborés. Deux siècles plus tard, le poète provençal Frédéric Mistral l’attribue au chevalier de Blacas. Ce dernier est fait prisonnier par les Musulmans, à Damiette, située dans le delta du Nil, en 1249 lors de la septième croisade. Il aurait prié la Vierge. Alors, le calife qui le détenait, impression­né par sa foi, l’aurait libéré. En remercieme­nt, le chevalier aurait fait tendre une chaîne entre les deux falaises de Moustiers avec une étoile à seize branches, emblème de sa famille. Qu’en était-il réellement? En tout cas l’étoile suspendue aujourd’hui n’a plus que cinq branches. Suissesses n’obtiennent ce droit qu’en . Elles se battent également pour accéder aux responsabi­lités politiques, mais si des femmes telles Theresa May ou Angela Merkel exercent aujourd’hui les plus hautes fonctions, la parité est lente à s’imposer. Elles obtiennent aussi des droits économique­s, dont celui à l’égalité salariale, grâce notamment à l’Union européenne, mais ce droit demeure loin d’être encore partout appliqué. Elles luttent encore pour le droit à disposer de leur corps (contracept­ion, avortement, divorce, pénalisati­on des violences sexuelles…) mais ces droits sont régulièrem­ent mis en cause (en Pologne ou en Russie tout récemment) et la vigilance demeure de mise.

Le harcèlemen­t sexuel fait partie de l’histoire des femmes ? Julie Le Gac : La condition des femmes a partout changé, selon des rythmes différents, selon les contextes politiques, juridiques, avec notamment le poids du Code civil napoléonie­n largement diffusé en Europe et le poids religieux. Mais l’obtention de nouveaux droits, met d’une part du temps à se concrétise­r dans la société et d’autre part des « retours en arrière » ont parfois lieu, la domination masculine résiste. Par exemple à propos du harcèlemen­t sexuel, nous présentons dans le recueil un texte d’Adelheid Popp, une Autrichien­ne qui en  décrit comment les ouvrières sont des « proies » pour leur contremaît­res et employeurs. L’actualité montre à quel point plus de cent ans après, son combat demeure d’actualité.

« L’Europe des femmes. XVIIIe-XXIe siècle. » Éditions Perrin. ,

 ?? (Photos DR, Musée des arts décoratifs et du design à Bordeaux) ?? Gravure de Moustiers-Sainte-Marie au XIXe siècle, avec la chaîne, l’étoile et le pont sur le Riou. Vase pot-pourri à décor bleu, manufactur­e Clérissy, Moustiers, XVIIIe siècle.
(Photos DR, Musée des arts décoratifs et du design à Bordeaux) Gravure de Moustiers-Sainte-Marie au XIXe siècle, avec la chaîne, l’étoile et le pont sur le Riou. Vase pot-pourri à décor bleu, manufactur­e Clérissy, Moustiers, XVIIIe siècle.
 ?? Au XVIe siècle, le jardin italien prend tout son caractère et son importance sur les collines romaines et leurs alentours. Ce n’est pas un hasard s’il s’exprime avec le plus grand faste dans les résidences papales et cardinalic­es. Ce jardin a pour fonctio ?? L’exposition
Au XVIe siècle, le jardin italien prend tout son caractère et son importance sur les collines romaines et leurs alentours. Ce n’est pas un hasard s’il s’exprime avec le plus grand faste dans les résidences papales et cardinalic­es. Ce jardin a pour fonctio L’exposition
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