Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

La tête dans les nuages

- FANNY ROCA

Jason Lamy-Chappuis, c’est le gars qui, lors du stage de l’équipe de France olympique à La Londe, te demande poliment si tu peux lui faire une petite place à table pour avaler une assiette de pâtes en s’excusant de te déranger. Cette table étant celle réservée aux « combinés ». Et donc à lui, en premier lieu, hein... En même temps, c’est vrai, le Jurassien de Bois-d’Amont, qui a passé sa petite enfance aux ÉtatsUnis, n’a pas de quoi frimer, non plus : il est juste champion olympique à Vancouver et porte-drapeau à Sotchi. Ah oui, et pilote de ligne profession­nel depuis quelques mois, aussi, accessoire­ment. Non mais vraiment, pas de quoi en faire tout un foin... Blague à part, voilà : on comprend mieux pourquoi tout le monde a applaudi lorsque « Jez », comme on le surnomme, a annoncé il y a moins d’un an qu’il sortait de sa retraite sportive. Qu’il rechaussai­t les skis, et prenait un dernier envol. Jusqu’à Pyeongchan­g. «Ça me manquait, explique-t-il. L’équipe, l’adrénaline que crée la compétitio­n, et le challenge, aussi. Je viens de terminer ma formation de pilote, j’avais neuf mois devant moi, et j’avais envie de revivre les JO. De vibrer encore un peu. Le timing était trop parfait pour ne pas essayer une dernière fois. » Alors le 1er mai dernier, il a rattaqué l’entraîneme­nt. « Un petit peu en retard, concèdet-il, mais avec de la fraîcheur mentale ». Loin de l’usure psychologi­que qui lui grignotait le cerveau après la déroute et la lourde désillusio­n des Jeux de Sotchi Et qui l’a poussé à couper avec le combiné. À mettre sa carrière entre parenthèse­s. «Lors de mes deux dernières saisons, en 20142015, il y avait un peu de lassitude de faire toujours la même chose depuis 10 ans, raconte-t-il. Je râlais un peu quand il fallait partir, refaire les sacs. En ayant arrêté un moment, j’ai pu voir autre chose. Me rendre compte que sportif de haut niveau, ce n’est quand même pas si mal (rires) .Ça permet de relativise­r. Et là, je me sens comme si c’était mes premières années en équipe de France. Comme un junior. » L’expérience, la sagesse et la sérénité en plus. Si le physique suivra, en revanche, le garçon – dont la préparatio­n a de plus été perturbée par une blessure au genou droit qui l’a tenu éloigné des sautoirs et des pistes tout le mois de décembre – n’en sait rien, lui qui a du mal à situer

“Il y a quand même pas mal de ressemblan­ces entre l’aviation et le sport de haut niveau: la discipline, la rigueur, s’entraîner à exécuter un mouvement précis des milliers de fois pour que ça devienne automatiqu­e, gérer le stress, garder son sang-froid...”

son niveau par rapport à la concurrenc­e. « Mais je ne me mets pas plus de pression que ça », assure celui qui sera de toute façon « champion olympique à vie ». « J’ai l’esprit de compétitio­n, donc je vais tout donner. Aller au bout de moi-même. Mais j’ai mes diplômes, je sais ce que je veux faire ensuite. Donc ce n’est que du bonus. Je n’ai rien à perdre. C’est un pari. Si ça fonctionne tant mieux, si ça ne fonctionne pas, j’aurai quand même vécu de bons moments. » Ce matin (7 h, heure française), Jason Lamy-Chappuis se présentera donc en haut du petit tremplin, pour le saut de son entrée dans la compétitio­n. Avant d’enchaîner avec le parcours de ski de fond (11 h 45). Alors franchemen­t, les chances de podium, sur cette épreuve individuel­le, comme d’ailleurs sur celle du grand tremplin mardi prochain, qu’il aborde sans réels points de repère, sont minimes. Mais c’est plutôt la date du jeudi 22 février que le Jurassien a cochée... Avec ses copains Bleus, Maxime Laheurte, Antoine Gérard, et surtout François Braud, l’ami de toujours, qui a vécu enfant en famille d’accueil chez les parents de Jason, et qui, pour ne rien gâcher,

Ce n’est que du bonus. Je n’ai rien à perdre”

est en pleine forme actuelleme­nt. Quatrième à Vancouver, de nouveau au pied de la boîte à Sotchi, le relais tricolore veut sa revanche. Et pour sa dernière virée sous les anneaux, « Jez » sans doute encore davantage que ses copains... «Ilya un petit goût d’inachevé avec ces quatrièmes places, confirme-t-il. J’aimerais bien aller chercher une médaille avec l’équipe. Et puis ce sont des garçons que je côtoie depuis 15 ans. Des amis. Ce serait vraiment chouette de concrétise­r ça par une récompense...» Histoire de boucler la boucle olympique de la meilleure des manières. « Après, il serait peut-être temps de trouver un travail ,enchaîne-t-il. Un vrai travail (rires) .» La tête toujours dans les nuages... «En ski ou en avion, on est bien, là-haut, sourit-il. On est libre quand on est en l’air. » Le CV du Jurassien est prêt. Il ne reste plus qu’à l’envoyer aux compagnies aériennes. Et à l’actualiser, au besoin, en cas de performanc­e de haut vol en Corée... «Ce ne sera pas un CV tout à fait comme les autres, souffle le champion. C’est vrai que peut-être, pour l’embauche, ça peut jouer...»

On est bien, là-haut. On est libre quand on est en l’air ”

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