Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Médecine : pourquoi les étudiants broient du noir Enquête

Ils ont 18 ans, et ils s’engagent dans de longues études de médecine. Des années plus tard, toujours étudiants, ils nous soignent déjà. Un parcours difficile raconté par le Dr Bitri

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

S

ouffrance. Ce mot suffirait pour résumer les résultats du premier baromètre sur le moral des profession­nels et étudiants en santé publié il y a quelques mois. Sur le thème « Et vous, qui prend soin de vous ? », le sondage était articulé autour de neuf questions. Résultat : l’ensemble des profession­nels et les étudiants en santé souffre d’une lourde et durable baisse de moral. En PACA, la tendance est particuliè­rement marquée : les étudiants obtiennent une moyenne de , sur  au score moral global. Conditions de travail difficiles, manque de reconnaiss­ance, sentiment de ne pas être entendus, épuisement – jusqu’au burn out, pour plus de la moitié d’entre eux –... Décryptage de la situation avec le Dr Andi Bitri, auteur d’une thèse sur ce sujet.

Au cours des deux dernières semaines, deux internes en médecine en poste dans des hôpitaux parisiens ont mis fin à leurs jours. Un étudiant en première année de médecine s’est également suicidé. La situation est vraiment préoccupan­te ». Aujourd’hui, Andi Bitri, alias Gilles Bellâtre, humoriste niçois dont les vidéos postées sur les réseaux sociaux régalent des dizaines de milliers d’internaute­s, n’a pas envie de rire. Médecin du travail quand il ne se met pas en scène, le trentenair­e connaît trop bien les épreuves par lesquelles passent ceux qui s’engagent dans une formation de médecin. Fin 2017, Andi présentait dans le cadre de sa thèse d’exercice en médecine (qui conditionn­e l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine) les résultats d’une large étude sur le burn out des étudiants en fin de cycle en particulie­r. « Tout le monde a peur du concours de PACES [première année commune aux études de santé, Ndlr], mais les ECN (épreuves classantes nationales) qui constituen­t le deuxième obstacle obligatoir­e à franchir pour tous les étudiants de médecine de sixième année figurent parmi les épreuves les plus difficiles. » élevé, et les places très chères, ceux qui aspirent à un bon classement se mettent une pression incroyable. »

Peu considéré à l’hôpital

Pendant cette période où l’étudiant prépare les ECN, soit pendant 2 à 3 ans, il organise ses journées entre l’hôpital et les révisions. le même sort. » À peine a-til quitté l’hôpital, et son univers impitoyabl­e, que l’étudiant se replonge dans ses bouquins et souvent jusque tard dans la nuit. « Alors que ses amis du même âge, 22 à 25 ans, ont fini leurs études, qu’ils sont déjà rentrés dans la vie active, lui vit avec 150 euros par mois complétés par des gardes payées 40 euros pour une nuit entière. » Plus de deux tiers de ces étudiants souffrirai­ent de troubles anxio-dépressifs que la progressio­n dans les années supérieure­s n’apaiserait pas. «Ona coutume de dire qu’avant la sixième année c’est dur, mais après c’est encore plus dur ! » Ayant acquis le statut d’internes en spécialité, ces « vieux étudiants » endossent d’importante­s responsabi­lités médicales, font des horaires terribles.

Jusqu’à  heures par semaine

«Les internes sont certes chapeautés par des médecins, mais ce sont eux qui font le plus gros du travail, autant auprès des malades que des familles… », renseigne le Dr Bitri. Si leur temps de travail est depuis 2015 limité dans les textes à 48 heures plus de 50 % d’entre eux dépasserai­ent en réalité cette limite. «Un interne en chirurgie fait entre 70 et 100 heures par semaine, avec 2 ou 3 gardes par semaine, et un temps de repos – de 24 heures en théorie après une garde – rarement respecté. » Tout cela sans « rouspéter », de peur (justifiée ou injustifié­e) que le stage ne soit pas validé. « Le plus triste, c’est que plus de la moitié de ces étudiants se sentent « nuls » en médecine. Et ils sont encore plus nombreux à se sentir harcelés », selon le Dr Bitri. Dans ce concert de tristes observatio­ns, une note réjouissan­te: l’amour du métier. « En dépit de ces conditions de travail exténuante­s, étudiants et médecins aiment vraiment leur métier, et sont au service du patient. La prise en charge ne pâtit pas de leur fatigue ou de leur stress. » Conscient de la situation, le doyen de la faculté de médecine de Nice, Patrick Baqué, a décidé de prendre des mesures concrètes pour enrayer la dynamique : un numéro d’appel pour les étudiants a été mis en place et une action sera prochainem­ent menée associant les services administra­tifs de la faculté de médecine et le service de psychiatri­e du CHU de Nice. Les étudiants en médecine ont grand besoin de se faire soigner. Et il en va de notre santé à tous.

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