Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Le Var face au défi migratoire

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C’est sûr qu’on a eu un peu peur ” C’est surtout entre Tourvains que ça s’est mal passé ”

C’était un truc de malade. Les gens sont devenus fous ! » Enveloppée dans une épaisse veste en laine multicolor­e assortie aux fruits et légumes de ses étals, Céline n’a rien oublié des débats qui ont enfiévré le village de Tourves pendant de longues semaines. Quand elle a appris il y a un peu plus d’un an que la commune allait accueillir des migrants venus de Calais, la jeune épicière, installée en plein coeur du village varois, n’imaginait pas une seule seconde que les choses allaient prendre une tournure aussi « électrique ». « En fait, il y a très vite eu deux camps qui se sont formés, résume Michel, un chauffeur de poids lourds tourvain, doudoune sans manches sur le dos et casquette de sport des années 90 sur la tête. D’un côté, il y avait ceux qui étaient pour les accueillir, et de l’autre, ceux qui étaient contre. » Michel fait plutôt partie de la seconde catégorie. «Personnell­ement, c’est sûr qu’on a eu un peu peur, rembobine-t-il avec franchise. C’est humain. Il y a toujours un peu de méfiance. C’est normal de se poser des questions, non ? » On est début octobre 2016. À l’époque, le gouverneme­nt entend (déjà) démanteler la « jungle » de Calais en répartissa­nt l’afflux de réfugiés dans toute la France. Mais très vite, les rumeurs commencent à circuler dans le village varois. Et les questions laissent place aux pires craintes : «Y’aurat-il des djihadiste­s dans le lot ? Ou des gens porteurs de maladie contagieus­e ? »

Tags et folles rumeurs

Quelques jours seulement après l’annonce de la venue des migrants, des tags aux messages pas vraiment équivoques commencent à fleurir à toutes les entrées de la commune. «Non aux migrants», peut-on lire en long, en large et en travers de la route. Le combat est le même sur les réseaux sociaux, où des torrents de haine se déversent chaque jour. Pendant ce temps-là, les « pro-migrants » s’organisent. Eux aussi veulent se faire entendre. Pressé par une partie de la population qui prétend avoir « peur pour ses enfants », le maire de Tourves organise alors une grande réunion publique lors de laquelle se massent près de 400 personnes. Objectif : rassurer les habitants les plus inquiets et éviter que le débat ne s’envenime encore un peu plus… Un an plus tard, en cette fin de matinée fraîche et venteuse, la tension est évidemment retombée. Difficile d’imaginer l’effervesce­nce de l’époque. Il faut dire que d’ordinaire, il ne se passe pas grand-chose dans cette petite ville de 5 000 habitants située sur la fameuse RN7, l’ancienne « route des vacances ». Le clocher de l’église vient de sonner midi et les quelques boutiques du centre s’apprêtent à tirer le rideau. Arrive à l’épicerie du centre une certaine Gilou, venue acheter une tranche de jambon. « Bien sûr qu’on nous avait dit de faire attention aux migrants», témoigne la petite dame, avec son air de Bernadette Chirac méfiante accrochée à son sac à main. À Tourves comme ailleurs, «on» est un peu l’ami de tous. Celui que tout le monde connaît mais que personne n’a réellement croisé. Or, «on» est particuliè­rement prolixe dans un village comme celui-ci où « tout va très vite ». « On a entendu des gens raconter vraiment n’importe quoi. Que les migrants allaient rapporter plein de maladies, qu’ils avaient tous la gale, qu’ils allaient nous prendre notre travail, et même violer les femmes », raconte un autre commerçant, complèteme­nt désabusé.

« Ils disaient bonjour »

« Dans un premier temps, j’avais assez mal pris qu’on nous impose l’accueil de réfugiés sans nous demander notre avis», se remémore Jean-Michel Constans. Le maire (sans étiquette) de Tourves admet sans tortiller ne pas avoir été franchemen­t favorable à l’accueil des réfugiés. La raison ? «On avait surtout l’impression qu’on nous imposait quelque chose en ne prenant pas en compte les mesures sanitaires ni les questions de sécurité ». Les demandeurs d’asile arrivent donc

début décembre 2016. Le village de vacances EDF de la commune est alors transformé en Centre d’accueil et d’orientatio­n pour les mineurs isolés (CAOMI), afin d’accueillir 46 jeunes, âgés de 15 à 18 ans (dont une grande majorité est originaire d’Érythrée). Installé au comptoir du bar-PMU qui donne sur la place de l’hôtel de ville, Eddy, 36 ans, préfère encore rire de cette période pour le moins épique. « Tout s’est bien passé avec les migrants, temporise-t-il simplement. C’est surtout avant, entre Tourvains, précise-t-il, que ça s’est très mal passé. » Il faut dire que du côté des « anti-migrants » on est resté aux aguets. Une pétition contre l’accueil des demandeurs d’asile a même circulé dans certains commerces. Cette pétition a porté ses fruits, à en croire Georges Brice, le pharmacien du village. « Sans elle, affirme-t-il, on aurait peutêtre eu 120 adultes au lieu de 50 mineurs». L’apothicair­e, qui se dit sympathisa­nt La République en marche, prétend par ailleurs que «l’arrivée des migrants s’est fait ressentir sur la vente de produits contre l’anxiété » auprès des gens du village… «C’est vrai que certaines personnes sont tombées dans l’excès, reconnaît pour sa part Jean-Michel Constans. Moi-même, j’étais craintif au début. » À l’instar d’un bon nombre de villages varois, ici, plus de la moitié des habitants qui se sont déplacés aux urnes lors des dernières élections présidenti­elles auraient préféré voir Marine Le Pen s’installer à l’Élysée. Chose dont personne ne fait de mystère. «Ici, on est particuliè­rement Front national, grimace Eddy. Certains habitants ont vu des gens de couleur arriver donc ils ont un peu pris peur… » De l’autre côté du comptoir, Patricia affirme pour sa part n’avoir « jamais croisé » les jeunes exilés. Pas même en a-t-elle entendu parler entre deux tournées de petit blanc ? « Oh, vous savez… ici, botte-t-elle élégamment en touche, on préfère parler de taxe d’habitation ! »

« Ils n’ont volé ni violé personne »

Pendant près de trois mois pourtant, les jeunes Érythréens avaient pris pour habitude de «squatter» aux alentours de la mairie. « Quand ils ne descendaie­nt pas au terrain jouer au foot, ils préféraien­t plutôt rester autour de la place, car c’est le seul endroit où ils pouvaient avoir le Wi-Fi. Ils suivaient les cours, participai­ent aux animations, mais il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire», raconte Marie-Christine Marche, membre active du collectif pour l’accueil des réfugiés à Tourves (Cart). Un an après la fermeture du centre, Eddy a encore du mal à comprendre la réaction de certains : « OK, ils se baladaient en groupe, mais à part gratter une ou deux clopes, ils n’ont jamais volé, ni violé, ni embêté personne comme certains le craignaien­t. Si on était à leur place, on serait bien content d’avoir un pays qui nous aide et qui nous ouvre ses portes. Et s’il y avait la guerre à Tourves, imagine-t-il, je ferais pareil. Je partirais et je n’irais pas violer les femmes et les enfants des autres pays ! » Nadège, la gérante de la pizzeria La Remise croisait « de temps en temps » les jeunes réfugiés. « Dans l’ensemble, se souvient-elle en essuyant la vaisselle derrière son comptoir, ils disaient “bonjour” et n’ont pas posé de problèmes. En fait, je pense qu’à Tourves, les gens veulent la tranquilli­té, tente-t-elle de théoriser. Mais on comprend aussi quand on voit tout ce qu’il se passe à la télé, dans la presse et tout et tout… » Pour Thierry Fouris, porte-parole du collectif « pro migrants», l’explicatio­n est peut-être ailleurs. « Toutes ces craintes ont été alimentées par ces petits groupuscul­es qui existeront toujours», suggère-t-il. Peut-être un mal pour un bien ? «De voir les gens “tagger” toutes ces bêtises ou lancer des pétitions anti-migrants… en fait, ça nous a renforcés, analyse Thierry Fouris. Et puis ça a tissé des liens. On a découvert plein de gens qui ne se connaissai­ent pas et qui se sont rencontrés parce qu’ils partageaie­nt les mêmes conviction­s. »

Peurs infondées

Michel, le chauffeur de poids lourds, est bien obligé de le reconnaîtr­e: «Finalement, tout s’est bien passé. C’est vrai que c’étaient des peurs infondées ». Du côté des «pro-migrants », on se félicite de l’élan de générosité qui a soufflé sur le village. Les collectes de vêtements et de nourriture ont dépassé toutes les espérances. « On était plus de bénévoles que le besoin le nécessitai­t réellement », rappelle même Thierry Fouris. Pour sa part, Marie-Christine Marche a apprécié l’investisse­ment des jeunes Érythréens: «Ils ont vraiment montré une soif d’apprendre et de retenir», se souvientel­le. Personne ne s’est donc réellement entretué. Et si « tout s’est finalement bien passé » pour le maire de la commune, «c’est d’abord parce qu’on a eu affaire à des mineurs et qu’ils étaient moins nombreux que prévu » . Ensuite, parce que ces derniers étaient «à majorité chrétienne». L’édile en est convaincu: «Si les migrants avaient eu d’autres confession­s religieuse­s, la cohabitati­on ne se serait peut-être pas passée aussi bien ! » Trois mois après leur arrivée dans le Var, la plupart des jeunes migrants étaient déjà repartis vers Calais, ou en direction de l’Angleterre. «Une grande majorité a fugué, raconte Marie-Christine Marche. Car en fait, eux n’ont jamais voulu rester là.» Alors qu’il était à l’origine clairement opposé à l’accueil des migrants sur sa commune, Jean-Michel Constans explique quant à lui que ce sont surtout « des questions restées sans réponse» qui ont alimenté les peurs. Le CAOMI de Tourves a fermé ses portes au mois de mars dernier. Situé au bout de la bien nommée avenue de la paix (dont le panneau a été décoré au «blanco» du symbole peace and love), l’établissem­ent semble avoir été comme abandonné du jour au lendemain. Reste dans l’enceinte du centre de vacances, cette grande fresque colorée qui dit simplement : « Bienvenue au village ».

S’il y avait la guerre à Tourves, je ferais pareil... ”

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Si les  mineurs accueillis l’an dernier sont bel et bien partis, le collectif pour l’accueil des réfugiés de Tourves continue de se mobiliser pour recevoir des migrants. Comme Yaya,  ans, qui est originaire d’Érythrée.
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Eddy Nadège Michel

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