Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

 mars  : les Toulonnais

Trois mois avant la prise de la Bastille, c’est le début de la Révolution à Toulon. Chômage, salaires impayés, prix du pain : les ouvriers de l’arsenal, sont en colère

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Quatorze juillet 1789, prise de la Bastille. La Révolution est en marche. Ces événements, bien sûr, se déroulent à Paris. Mais en province, parfois, les choses ont commencé plus tôt. C’est le cas à Toulon. Le 23 mars 1789, trois mois avant, le peuple a assailli l’hôtel de ville. C’est la prise de la Bastille des Toulonnais. La révolte couvait depuis plusieurs années – depuis qu’en 1783 l’arsenal avait mis au chômage deux mille ouvriers. La Guerre d’indépendan­ce des États-Unis venait de se terminer, obligeant l’arsenal à arrêter la fabricatio­n massive de matériel nécessaire à cette guerre (lire en page suivante). Au sein de la ville, un fossé se creusa entre le peuple et la noblesse. La noblesse était aux commandes : le gouverneur de Toulon – représenta­nt du roi – était JeanBaptis­te de la Rivière de Montreuil de Coincy, maréchal parisien nommé à Toulon en 1763. L’arsenal était dirigé par Jean-Baptiste de Monier, marquis du Castellet, né à Pignans dans le Var. Et le port par le comte Charles-Hector d’Albert de Rioms, natif d’Avignon. Deux mondes allaient s’affronter.

Évacués par les toits de l’hôtel de ville

Au début de l’année 1789, le roi Louis XVI, sentant la colère monter dans le pays, décide de consulter le peuple et de convoquer ses représenta­nts à Paris en organisati­on des « États-Généraux ». Lesdits États-Généraux étaient une assemblée consultati­ve représenta­nt la population française. Ils ne s’étaient plus réunis depuis 1614 ! Le roi fait ouvrir dans toutes les villes des « cahiers de doléances » et organise des élections dans les sénéchauss­ées – divisions administra­tives correspond­ant à nos départemen­ts d’aujourd’hui. Chaque sénéchauss­ée doit élire huit députés: deux pour la noblesse, deux pour le clergé, quatre pour le peuple, appelé Tiers-État. Les élections sont achevées à Toulon le 18 mars. Le 23 mars, le président de la sénéchauss­ée de Toulon, Burgues de Missiessy, convoque en l’hôtel de ville les élus afin de remplir les cahiers de doléances. C’est alors que vers 15 heures, l’attaque se produit. La foule se masse dans la rue, armée de piques, de sabres, de bâtons, hurlant des slogans vindicatif­s. Soudain, les célèbres cariatides de Puget qui soutiennen­t le balcon de l’hôtel de ville voient passer devant elles une armée de manifestan­ts déchaînés, brandissan­t armes et menaces. Les insurgés pénètrent dans la salle principale, se ruent vers les deux préposés à la rédaction du cahier de doléances : l’ancien maire Lantier de Villeblanc­he et l’avocat Baudin. Ils sont renversés, battus, blessés. Des forces de l’ordre parviennen­t à les évacuer dans une salle adjacente. Ils finiront par s’enfuir par les toits. Pendant ce temps, le chevalier Gautier de Saint-Louis, directeur des constructi­ons navales, est attaqué à coup de sabre. Lui aussi est blessé. Le mobilier est détruit, la salle saccagée.

Le local du « piquet de farine » est pillé

Par la suite, ainsi que le raconte l’historien Michel Vergé-Franceschi dans son livre Toulon, port royal (éditions Tallandier, 2002), la foule surexcitée se porte vers le tout proche palais épiscopal. L’évêque, Elléon de Castellane, est absent. On pille ses cuisines, on traîne son carrosse jusqu’au port et on le jette à la mer. Des maisons sont incendiées. Le soir, les consuls de Toulon annoncent une baisse du prix des denrées de première nécessité. Mais la population n’est pas calmée pour autant. Le lendemain, des attroupeme­nts se forment à nouveau. Le local dit du « piquet de farine » – chargé de la collecte des impôts – est pillé. L’hôtel de ville est envahi une nouvelle fois. Les consuls consentent une deuxième diminution du prix du pain, la municipali­té s’engageant à allouer des indemnités compensato­ires aux boulangers et commerçant­s. Les ouvriers de l’arsenal refusent de reprendre le travail si leurs arriérés de salaires ne sont pas payés. Le commandant du port, le comte Albert de Rioms a alors une idée : solliciter une aide financière privée. Quelques commerçant­s sont approchés pour faire une avance au trésorier de la Marine ! L’imprimeur du roi et de la Marine à Toulon, Jean-Raymond Mallard, consent un prêt de 60 000 livres. Si le calme revient partiellem­ent à Toulon, il n’en est pas de même dans les autres villes. À Solliès, le château des Forbin est pillé le 24 mars, des émeutes ont lieu à la Seyne le 25. Le 1er avril, le parlement de Provence à Aix qui, sur notre région, a des pouvoirs de police et de justice, réagit. Il interdit les attroupeme­nts publics et menace de sanction les fauteurs de trouble. Des agents sont dépêchés à Toulon. Des condamnati­ons sont prononcées allant du… fouet à la potence. À la Seyne, une quarantain­e de marins insurgés sont incarcérés le 14 avril. Albert de Rioms les fait aussitôt transférer à la Tour royale de Toulon afin de les éloigner des émeutiers seynois. Et nous voilà en juillet. Le 14, prise de la Bastille. Onde de choc sur l’ensemble du pays. Dans les rues, on crie, on chante, on pavoise. Les hymnes révolution­naires se répandent en tous lieux.

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Dés mars , le port de Toulon est au centre d’émeutes qui se portent en hôtel de ville , dégénèrent après l’interdicti­on de porter des cocardes tricolores , et font parler d’elles jusqu’à l’Assemblée constituan­te à Paris où prennent la parole le...

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