Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Éprouvante audience pour l’incendie mortel de Toulon

Après les décès dans les flammes d’une adolescent­e de 16 ans et d’un homme de 67 ans, deux hommes ont été jugés. L’un était parti sans attendre, l’autre avait retiré le détecteur de fumées

- SONIA BONNIN sbonnin@varmatin.com

Àchacun d’entre nous se pose la question. Comment aurai-je réagi ? Lundi, le tribunal correction­nel de Toulon a jugé deux hommes qui sont les seuls rescapés d’un violent incendie déclaré en pleine nuit dans un appartemen­t, sur l’avenue du XVe-Corps dans les quartiers ouest toulonnais. Le 16 mars 2017, une adolescent­e et un homme ont perdu la vie dans des conditions atroces, pris au piège des flammes, derrière des grilles posées sur un balcon. Alysson avait 16 ans, une jeune fille venue passer la nuit avec son copain, Damien R. ; et Jean-Yves Gagey, 67 ans, qui vivait dans la chambre du fond.

Détecteur, intact, sans ses piles

La justice a reconnu Damien R. 27 ans coupable de non-assistance à personne en danger et Olivier A. 50 ans coupable d’homicide involontai­re. Le premier avait rapidement quitté les lieux, après avoir fait « tout ce qu’il pouvait à l’intérieur », s’est-il justifié. Il était ensuite parti à pied chez un copain, pendant que les pompiers cherchaien­t encore son corps dans les décombres fumants. Le second, Olivier A. locataire en titre des lieux, a reconnu avoir enlevé le détecteur de fumées, au motif que, « à quatre à fumer dans la pièce, il n’arrêtait pas de se déclencher ». Le détecteur a été retrouvé « au fond d’un tiroir, intact, sans ses piles », indique le tribunal. « Vous le savez que c’est obligatoir­e », lance la présidente. Le prévenu dodeline de la tête. « L’agence vous a envoyé un courrier pour vous demander d’acheter et d’installer un détecteur de fumées. » Olivier A. peine à se justifier et à convaincre. Il maintient qu’un autre détecteur était installé dans la chambre du fond. « Les gravats ont été passés au peigne fin, monsieur », coupe la juge qui tient le volumineux rapport d’expertise entre ses mains.

Le poids des minutes

L’audience est longuement revenue sur les quelques minutes qui ont peut-être été déterminan­tes dans la mort des victimes. Des informatio­ns cruciales sont issues de la vidéo-surveillan­ce de la ville. À 1 h 07 du matin, il y a encore de la lumière dans le logement. Le court-circuit provoqué par une prise électrique vétuste et sur-chargée se produit donc juste après. À 1 h 08 déjà, de la fumée noire sort de la cuisine. À 1 h 09, Damien R. descend dans la rue, en short, pieds nus et fait des va-etvient. À 1h10, la fumée noire s’échappe de deux fenêtres. Les pompiers seront appelés par des voisins. « Je n’arrivais pas à reprendre mes esprits », bredouille Damien R. Il a croisé des voitures sans les arrêter et est parti à pied.

« Vous avez déserté »

Arrivés à 1h20, les pompiers attaquent le feu par l’avant, trouvent Olivier A. hagard, noir de suie, avec un seau d’eau et intoxiqué par les fumées. Ce n’est qu’un peu plus tard que les pompiers apprennent qu’il y a une cour à l’arrière. C’est là, transformé­es en torches vivantes, que les deux victimes sont en train de périr, plaquées contre les grilles anti-effraction du balcon. Un cauchemar. « On ne vous demandait pas de faire une action personnell­e dangereuse, monsieur. On ne sait pas s’ils auraient pu être sauvés. Mais vous n’avez pas essayé, se désespère la présidente : Vous avez déserté ! À ce moment-là, il n’y a que vous qui connaissie­z la configurat­ion des lieux .» Selon les pompiers, au moins dix minutes ont été perdues.

Paradoxe de l’audience

Pourquoi Alysson n’est-elle pas sortie plus tôt, puisqu’elle ne dormait pas quand le feu a éclaté ? Pourquoi est-elle restée ? L’adolescent­e qui avait fugué du foyer où elle vivait à La Garde, était revenue sur ses pas pour réveiller le co-locataire de la chambre du fond. « Elle l’appelait Papy. » C’est là que les deux ont été piégés. Le paradoxe de l’audience réside dans l’absence d’empathie manifestée par les deux prévenus,

dans un procès lourd comme le plomb. Aucun n’est allé se recueillir sur les tombes des disparus. Trois proches d’Alysson sont sur le banc des parties civiles, au bord de l’effondreme­nt. Leurs avocats relèvent « les incohérenc­es et comporteme­nts inadaptés ». Damien R. ? « Il y aurait tellement à dire, le courage personnifi­é », lance Me Giovannang­elli, amer. De même, Me Turpaud déplore que « les deux prévenus n’ont émis aucune émotion par rapport aux décès. » Alysson « a souhaité porter assistance, elle a eu le geste naturel de porter secours

 ?? (Photo E. M.) ?? Une nuit d’horreur, dans laquelle les pompiers ont longtemps cherché les victimes… dont une qui était partie.
(Photo E. M.) Une nuit d’horreur, dans laquelle les pompiers ont longtemps cherché les victimes… dont une qui était partie.

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