Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Jeff Bothorel, le sauveteur en mer prend la plume
À 51 ans, ce marin de l’Abeille Flandre, ancien boucher-charcutier passé par le Club Med, s’est lancé dans une nouvelle aventure: l’écriture d’un roman où il mélange pure fiction et faits historiques
« Qui trop écoute la météo passe sa vie au bistrot. » Brestois de naissance, Jeff Bothorel connaît ce dicton breton. Mais il ne l’applique pas. Jamais ! Pas même pendant les vacances. À l’heure où la tempête menace, où le mistral se prépare à balayer la Méditerranée de ses violentes rafales, ce Sanaryen d’adoption largue immanquablement les amarres. Inconscient ? Non, sauveteur en mer. Et plutôt deux fois qu’une. En cette fraîche matinée d’hiver sur le port de Toulon, Jeff affiche la couleur : il porte une polaire orange de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). « J’ai toujours voulu faire du sauvetage », confie cet ancien plaisancier (il a revendu le Nausicaa, son voilier de neuf mètres à bord duquel il entreprit voilà quelques années un voyage avec femme et enfants). Depuis 2003, Jeff fait partie de l’équipage du Saint-Elme , la vedette de la station de la SNSM à Bandol. Parmi les nombreuses interventions auxquelles il a participé, il évoque en quelques mots celle où l’équipage du Saint-Elme prit la décision « d’échouer, sur la plage de Bonne Grâce, une vedette de 15 mètres qui menaçait de couler après être passée sur un haut-fond à Port d’Alon ».
La Flandre, bateau chéri
Mais la plus grande fierté de ce «saint-bernard» des mers est ailleurs. Sur la plage arrière de l’Abeille Flandre, célèbre remorqueur de haute mer. «C’est un aboutissement », lâche Jeff, bras droit du bosco du bord. Et d’expliquer cette passion pour celui que les médias ont parfois surnommé le « bateau courage » : « L’Abeille Flandre est magnifique. Il m’a toujours plu. Enfant, le dimanche, on sortait en famille le long des bassins brestois voir les bateaux sur lesquels mon père, peintre naval, travaillait. La balade se terminait toujours par la Flandre ». Rien ne le prédestinait pourtant à naviguer un jour sur le mythique remorqueur. Chez les Bothorel, contrairement à nombre de familles bretonnes, personne n’a jamais fait de la mer son métier. Et à dire vrai, c’est par le plus grand
des hasards que Jeff est devenu marin. Adolescent, il n’a qu’un objectif : entrer au Club Med. Pour arriver à ses fins, il choisit un chemin peu banal en optant pour un double CAP de boucher-charcutier ! « J’avais entendu dire que le Club Med recherchait toujours des bouchers ou charcutiers ». L’avenir lui donnera raison. En 1989, à son retour du service militaire effectué chez les paras, Jeff est en effet embauché par la célèbre marque de villages vacances. Quatre ans durant, il enchaîne les destinations de rêve : Nouvelle-Calédonie, Bali, Mexique, Bahamas… La passion des voyages ne le lâchera plus. Après un embarquement sur le Queen Elizabeth 2, écourté pour cause d’échouement sur un banc de sable devant Halifax, Jeff Bothorel multiplie les années sabbatiques. À l’issue de l’une d‘elle, passée en grande partie à bord d’un voilier naviguant aux Antilles, il débarque à Sanary. Il ne quittera plus le petit port de pêche. «J’en suis aussitôt tombé amoureux. Je me suis dit : c’est là que je veux vivre », témoigne-t-il.
De l’ancre à l’encre
Vient alors l’heure des grands changements. Au milieu des années 1990, il rencontre sa femme, mère de trois enfants qu’il finira par adopter en 2016. En 2005, fini le poste de serveur qu’il occupe depuis quatre ans sur les ferries de la SNCM. Jeff épouse enfin le métier de marin et passe avec succès le brevet de capitaine 200 avant de rejoindre dans la foulée la société Les Abeilles. S’il avoue avoir toujours lu, désormais il dévore tous les livres qui lui passent entre les mains. Ses goûts sont des plus éclectiques : thrillers, fantastiques, romans historiques, mais aussi biographies des grands navigateurs ou témoignages des solitaires du Vendée Globe. De cette passion pour les mots naîtra bientôt une irrépressible envie d’écrire. Et ce ne sont pas les refus des maisons d’édition traditionnelles qui enterreront le projet. Grâce à Librinova, Jeff opte pour l’autoédition en format numérique. Depuis novembre dernier, son premier roman – L’orphelin qui traversait le temps – y est ainsi disponible au prix de 2,99 euros (1). Il y est bien sûr question de voyages, mais dans le temps, au cours desquels le héros, Stanislas Toussaint, porte tour à tour secours à des Juifs promis à la déportation, et des esclaves sur l’île de Zanzibar. Encore et toujours des histoires de sauvetage. On ne se refait pas. 1. À noter qu’une partie de la vente du livre sera reversée à la station de Bandol de la SNSM.