Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Marseille : la sardine qui a bouché le port était aussi grosse qu’un navire

- MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

La sardine qui a bouché le port de Marseille est la plus gigantesqu­e à avoir jamais habité la Méditerran­ée. Sa tête énorme était couchée au pied du fort SaintJean. Tandis que sa queue frétillait désespérém­ent de l’autre côté de la passe, tapant contre les murs du fort Saint-Nicolas. Aujourd’hui, on peut accéder à ce fort Saint-Jean par le musée des civilisati­ons de l’Europe et de Méditerran­ée, le Mucem, en empruntant une passerelle perchée audessus de l’eau. Elle débouche là même où le poisson géant s’est tant débattu. Son ventre, peuchère, ne lui facilitait pas la tache, bombé qu’il était comme la coque d’un gros navire ! La sardine était bel et bien prisonnièr­e et les marins marseillai­s aussi, empêchés de prendre le large tant qu’elle leur barrerait la route. Pourtant, jamais sardine n’a bouché le port de Marseille. Par contre le Sartine - avec un « t » et non un « d » - oui ! La catastroph­e s’est produite alors que le mois de mai 1780 touchait à sa fin. Le commandant du port, Georges-René Pléville Le Pelley était fou de rage, dès que la nouvelle lui est parvenue de ce vaisseau, couché sur le flanc, dans le chenal d’entrée, entre les forts Saint-Jean et SaintNicol­as. Voilà ce corsaire du roi, rangé des intrépides expédition­s, obligé de traîner sa jambe de bois, sur les lieux de la catastroph­e. Sa jambe avait été arrachée par un boulet dans une de ces violentes batailles en 1744. À peine sur pied, le bonhomme était reparti sillonner les mers. Mais en 1746, c’est sa jambe de bois qui est emportée par un boulet. « Le boulet s’est trompé », se serait alors exclamé ce truculent personnage. Le boulet se trompera une troisième fois en 1759, épargnant à nouveau sa seconde jambe.

Attaqué par les Anglais

Un bateau échoué dans le port n’est pas ce qu’il a vécu de pire, mais les noms d’oiseaux fusent à l’égard de l’équipage qui a commis une telle fausse manoeuvre. Georges-René Pléville Le Pelley ne le sait pas encore mais les marins ne sont peut-être pas les seuls responsabl­es. Le Sartine revient de loin. Un an plus tôt, en 1779, le navire participai­t encore à la guerre d’Indépendan­ce des États-Unis contre les Anglais. Sa dernière mission était d’aller récupérer dans l’océan Indien des Français – notamment des officiers – capturés par les Anglais après plusieurs combats au large de Pondichéry, en Inde. Après l’échange avec des prisonnier­s anglais, il mettait le cap vers Marseille, battant pavillon blanc. Un sauf-conduit qui aurait dû le préserver de l’attaque des Anglais au large du Portugal, le 19 mai 1780. Les Anglais tueront le capitaine et deux hommes d’équipage, avant de se rendre compte de leur erreur, puis de laisser le Sartine repartir. Mais pas tout de suite. Les canons ayant causé plusieurs avaries, des réparation­s sont effectuées à la va-vite, à Cadix. Certains expliquero­nt qu’elles ont lâché à l’entrée du port de Marseille. D’autres, évoqueront le manque d’expérience du remplaçant du capitaine tué, qui aurait été fatal.

Sartine, un ministre de Louis XVI

Parmi ces derniers, le vicomte Paul de Barras, né à Fox-Amphoux. Le futur membre du Directoire, réputé pour sa cruauté, l’écrit dans ses mémoires. Il comptait parmi les prisonnier­s échangés, à bord du Sartine, que Georges-René Pléville Le Pelley parviendra non sans mal, à remorquer à quai. Comment le Sartine s’est transformé en Sardine qui a bouché le port ? Selon l’historien Gilbert Buti, président de l’Académie du Var, « Antoine de Sartine était secrétaire d’État de la Marine de Louis XVI de 1774 jusqu’au 14 août 1780, donc au moment de l’échouement du trois mâts qui portait son nom. Il a mené un important programme de réformes de la marine royale. Accusé à tort par le ministre des Finances de détourneme­nt dans les caisses de l’État, il est disgracié le 14 août 1780. Son impopulari­té a peutêtre conduit à changer par dérision, le nom du navire en sardine. C’est une hypothèse.» Mais il est aussi possible qu’une simple mauvaise prononciat­ion soit à l’origine de cette galéjade, qui aujourd’hui prête aux Marseillai­s un côté un tantinet fanfaron et une tendance à l’exagératio­n.RÉGINE

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