Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

 : mort suspecte du grand

Suicide ou assassinat ? Le mystère demeure. Certains accusent sa femme Anastasia, petite-fille du tsar Nicolas 1er mais un communiqué du maire étouffera l’affaire

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L’histoire que voici, terminée tragiqueme­nt à Cannes le 10 avril 1897, met en scène deux personnali­tés de l’aristocrat­ie internatio­nale du XIXe siècle. La première est Frédéric-François III, souverain du grand duché de Mecklembou­rg-Schwerin, descendant du tsar Paul 1er de Russie. Le grand duché en question, situé au nord de l’Allemagne au bord de la mer Baltique, est un petit pays qui exista de 1815 à 1918. On y régnait de père en fils, tous les souverains s’appelaient Frédéric-François. Celui qui nous concerne est Frédéric-François III. Ce grand blond à la santé fragile est sujet à la dépression. La seconde personnali­té est son épouse Anastasia, petite fille du tsar de Russie Nicolas 1er, jeune femme brune exubérante et mondaine. Elle n’avait pas 18 ans lorsqu’en 1879 sa mère décida de la marier à Frédéric-François III, âgé de neuf ans de plus qu’elle. Les noces, célébrées au Palais d’hiver de Saint-Pétersbour­g, furent un événement dans le gotha des grandes familles européenne­s. Anastasia déchanta rapidement, n’étant pas amoureuse de son mari, supportant mal l’austérité du château de Schwerin, capitale du grand duché. Elle songea alors à s’expatrier, demanda à son époux d’aller visiter cette Côte d’Azur dont sa tante Maria Alexandrov­na, épouse du tsar Alexandre 1er, et ses cousins les grands ducs Paul, Serge, Alexis, Alexandre lui avaient si chaleureus­ement parlé. Anastasia vint donc sur nos rivages au milieu de l’année 1880. Elle s’y plut. Elle commença à y séjourner. Elle créa à Menton – ville française depuis 1861 – la Société russe de bienfaisan­ce pour venir en aide aux Russes qui vivaient à Menton, mais aussi à Bordighera et San Remo, sur la Riviera, dans le Royaume d’Italie (lire en page suivante).

Une vie oisive sur la Côte

En 1889, Frédéric-François fit construire pour Anastasia la villa Wenden à Cannes, belle bâtisse de style italien entourée de murs et de balustrade­s, située sur les premières hauteurs du quartier de la Californie, avenue de la Favorite. Cette demeure fut, paraît-il, la première équipée de l’électricit­é à Cannes. Le grand duc avait fait installer un générateur sur place. Frédéric François retourna dans son duché mais, inquiet de l’éloignemen­t de son épouse, commença à la rejoindre de plus en plus fréquemmen­t à Cannes. La population du grand duché se mit alors à s’insurger de voir ses souverains vivre aussi loin d’eux. Un compromis fut trouvé : le grand-duc et son épouse résideraie­nt cinq mois de l’année à Schwerin et leurs enfants naîtraient dans le grand duché. Le reste du temps, ils pourraient vivre à Cannes. Après la naissance, en 1886, de la petite dernière, Cécile – future épouse du fils de l’empereur Guillaume II d’Allemagne – la grande duchesse s’installa à Cannes de manière quasi définitive. Chaque année, le grand duc venait la rejoindre de septembre à mai. Elle s’adressait à lui en français et en anglais à ses enfants. Anastasia avait son court de tennis à la villa Wenden, allait entendre des opéras de Puccini à Nice, perdait son argent au casino de Monte-Carlo, fréquentai­t les membres des familles royales en résidence sur la Côte, et avait des liaisons. La colère des sujets du grand duché grondait. Beaucoup reprochaie­nt à leur souverain, et surtout à son épouse, de dilapider sur la Côte les richesses de leur petit pays. On parlait de plus en plus ouvertemen­t de renverser FrédéricFr­ançois III et d’installer son fils à la place – en l’entourant d’une régence jusqu’à sa majorité. FrédéricFr­ançois supportait de plus en plus difficilem­ent cette situation. Peu à peu, il sombra dans la dépression.

Décédé un soir de fête dans sa villa à Cannes

Le soir du 10 avril 1897, la grandeduch­esse Anastasia a organisé l’une des innombrabl­es réceptions mondaines dont elle a le secret et dont parle le Tout-Côte d’Azur. Son frère le grand duc Michel est là, avec son épouse la comtesse Torby. Ils habitent à Cannes depuis 1895 dans la villa Kazbek, avenue du Roi-Albert. Il y a aussi des généraux, des comtes et des barons, ainsi que le prince souverain de la principaut­é de Reuss, en Allemagne, Henri VIII – principaut­é appartenan­t à la famille de la mère de Frédéric-François III. La villa est illuminée, déborde de fleurs. Les serviteurs sont nombreux et avenants. Une brise légère fait entrer par les fenêtres les senteurs des feuillages printanier­s. Dès la fin de l’après-midi, Anastasia reçoit ses invités avec son exubérance habituelle. Elle parle fort afin qu’on la remarque. « Où est le grand duc », lui demandet-on ? « Dans sa chambre, il se repose, répond-elle. Vous ne le verrez peutêtre pas ce soir , il est très fatigué .» Anastasia va et vient, disparaît à certains moments. L’orchestre joue des valses. Les queue de pie et les robes de soirée tournent sur le parquet ciré tandis que les bijoux de ces dames scintillen­t à la lumière des lustres. La nuit est tombée. L’obscurité s’est faite sur le jardin. Seule la villa est éclairée. « Nous allons passer à table », annonce Anastasia qui est revenue au coeur de l’assistance. Elle se tourne vers un serviteur : « Allez prévenir monseigneu­r le grand duc ! » Mais le grand duc ne répond pas. Il reste enfermé dans sa chambre. On insiste en vain. Le grand duc at-il eu un malaise ? On finit par enfoncer la porte. Le grand duc a disparu.

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