Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Affaire Seznec: un Niçois connaissai­t-il le vrai tueur?

Philippe Santini, policier cannois de Nice, aurait recueilli les aveux d’un docker nommé Tessier en 1945. Son témoignage avait été écarté car «imprécis»

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« Comment t’appelles-tu ? - Philippe Santini. Et toi ? - Tessier. Tu viens d’où ? - De Nice. J’ai une femme et une petite fille que j’ai à peine pu voir car j’ai été arrêté peu après. Je fournissai­s des faux papiers à des juifs. Ma femme est institutri­ce, moi je suis flic. Et toi, qu’est-ce que tu fais ici ? - Je suis communiste, avant la guerre j’étais le chef du syndicat des dockers du port de Paris… »

À ce moment de leur discussion, écrit la fille de Philippe Santini, « les Alliés ont lancé des bombes et les baraquemen­ts ont commencé à brûler ».Tous ont cru qu’ils allaient y passer… Viviane retranscri­t, alors, la suite de la discussion de son père avec Tessier. Selon elle, et d’après ce qu’il lui a raconté, Tessier se serait jeté à genoux en disant :

«Je ne crois pas, mais si Dieu me sauve de là, j’irai tous les dimanches à la messe. Dire que je vais crever à côté d’un flic, alors que pour le crime que j’ai commis, je n’ai jamais été pris. - Tu as commis un crime ? - Tu connais l’affaire Seznec ? - J’en ai entendu parler quand j’étais petit. »

C’est à ce moment-là que, se croyant perdu, le docker parisien aurait fait cet incroyable aveu à Philipe Santini…

«C’est moi et un copain qui avons tué Quéméneur. J’étais dans un café à Paris et il y avait ce type, ce Quéméneur, attablé. Il avait plein de fric qu’il montrait au patron et il m’a vu. Il m’a souri, il est venu vers moi et à voix basse, il m’a demandé si ça me dirait de venir le soir dans sa chambre pour se distraire un peu tous les deux. J’ai dit oui. Mais le soir, j’y suis allé avec un copain, car il était costaud, le Quéméneur! Et j’avais pas l’intention de m’amuser, mais de lui piquer son fric. On l’a tué tous les deux. » Dans sa lettre au premier président de la Cour de cassation, Viviane raconte que c’est à ce moment-là que les portes des baraquemen­ts se sont ouvertes. Selon son père, «ça a été la ruée». Alors que Santini s’apprêtait à fuir, Tessier l’aurait rattrapé par le bras. Des regrets sur des aveux faits alors qu’il croyait sa dernière heure arrivée ?

«Santini, tu ne l’ouvres pas, tu la boucles, je sais ton nom, où tu habites et j’ai des amis puissants. Si tu révèles quelque chose, pense à ta femme et ta fille, tu veux qu’elles vivent?»

Le bruit, l’affolement, le chaos ont alors séparé Tessier et Santini. Ils ne se sont jamais revus. Toujours dans son courrier, Viviane prévient: «Ma première réaction lorsque mon père m’a raconté tout ça, ça a été de lui demander s’il en avait parlé à quelqu’un, à un avocat, un juge, puisqu’il y avait un pauvre type en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis. » Philippe Santini l’avait fait, «en 1946 ou 1947». Mais l’avocat niçois à qui il avait révélé cette étonnante confession, lui aurait rétorqué : «Qu’ont-ils fait du corps? Où l’ont-ils mis ? Personne ne vous croira et ne s’intéresser­a à votre histoire, car vous ignorez où se trouve le cadavre. » Lorsqu’elle écrit à la justice, Viviane sait que sa démarche peut paraître incongrue. « Croyez bien, monsieur le président, que ni mon père ni moi n’avons assez d’imaginatio­n pour inventer une histoire aussi rocamboles­que. » Mais Tessier, peut-être. Certaineme­nt, même… Qui sait ? Quoi qu’il en soit, Philippe Santini avait demandé à sa fille d’essayer de « faire éclater la vérité » lorsqu’il serait mort. Ce qu’elle a tenté. Mais ni la commission de révision de 1996, ni celle de 2005, n’auront apporté crédit à ce témoignage… inattendu.

Article rédigé à partir du courrier de Viviane et des conclusion­s de la requête en révision déposée en 2001 et rapporté en 2005. Ainsi qu’à partir de témoignage­s sur des blogs. Aucun descendant de Philippe Santini n’a pu être retrouvé.

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(Photo d’archives AFP) Photo de Guillaume Seznec, prise en  en Bretagne, à son retour du bagne.

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