Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Le président dont il se rapproche le plus? Valéry Giscard d’Estaing »
Emmanuel Macron fait-il des phrases plus longues que ses prédécesseurs ?
En général, les gens qui ont un vocabulaire riche font des phrases longues. De fait, Macron emploie ou mots par phrase, alors que Sarkozy était proche de et Pompidou, à . Syntaxiquement, ces phrases sont donc plus construites, avec un goût très prononcé pour la coordination: “LaFranceET l’Europe ”, “Les hommes ET les femmes ” Ce n’est pas du ni-ni, plutôt du et-et !
Comment l’interpréter ?
Clairement, il veut renouer avec le président intellectuel des origines de la Ve République, avec une volonté de marquer son discours du sceau du littéraire, de faire référence à des concepts philosophiques ou de sciences politiques. Il peut jongler entre plusieurs registres de langages, avec un discours plus ou moins cru. Mais quand il fustige “les fainéants” ou “ceux qui foutent le bordel” ,ilyauncôté “cash” très sarkozyste ! Certes. Mais sur un terrain plus statistique, le discours de Sarkozy est beaucoup plus négatif. Quasiment une phrase sur trois est une négation, contre une sur cinq chez Macron. On constate néanmoins que Macron sait imiter Sarkozy avec un discours dissensuel, ou non consensuel. Il pense sans doute que, pour affirmer son autorité à l’opposé d’un Hollande, il doit affirmer ce côté régalien qui sait dire “oui”, mais aussi “non”.
L’outrance verbale est une façon de montrer qu’on fait bouger les choses ?
Macron cherche à incarner une forme de rupture. Faute de pouvoir l’incarner à travers des mesures économiques – qui s’inscrivent dans le consensus européen de ces trente dernières années – il marque cette rupture par le discours, à travers la négation et la punchline.
L’influence des réseaux sociaux a-t-elle tendance à « muscler » la parole présidentielle ?
Certains mots-clés sont travaillés pour passer au heures. Mais le discours de Macron traduit plutôt une posture anti-Trump. Une pensée complexe à l’opposé de cette pensée en ou signes, qui contraste avec la “twitterisation” du discours par Trump. Voilà pourquoi ses discours sont souvent longs, et qu’il fait l’intello à Davos avec ce discours interminable.
« Lui président », de quel prédécesseur Macron se rapproche-t-il le plus ?
S’il faut choisir : du discours de Giscard. Macron lui reprend son double positionnement : assez orthodoxe économiquement, assez avant-gardiste sociétalement. Ce n’est pas un président “bobo” mais “lib-lib” : libéral et libertaire. Tout est dit quand on regarde son gouvernement ! Et puis, il y a l’âge, forcément. En , Giscard avait la quarantaine, alors que ses prédécesseurs en avaient , … Et on ne parle pas de la même manière à et à ans.
Macron est un président jeune mais qui use d’un vocabulaire parfois désuet, à l’image de sa
…
« poudre de perlimpinpin » Cela traduit sa volonté d’afficher une continuité de la parole présidentielle. C’est un clin d’oeil volontaire aux années cinquante, soixante ou soixante-dix. À ses yeux, ces formules un peu vintage assoient sa crédibilité et son autorité. A cela s’ajoute sans doute une certaine jouissance de la parole.
Et lors de sa campagne, de qui est-il le plus proche à l’oral ? Statistiquement, de Ségolène Royal. Quand on y repense, son discours en , s’il n’a pas été gagnant, était lui aussi flou, transpartisan, avec une volonté d’incarner une nouveauté. À tel point que les “éléphants” du PS l’avaient lâchée, ne se reconnaissant pas dans ce discours d’électron libre, un peu mystique.
Les mots du Macron président sont-ils très éloignés du Macron candidat ?
Pendant la campagne électorale, le discours de Macron est fuyant, avec un vide remarquable au niveau du contenu politique. Il traduit un hymne à la “transformation” ,au “changement” ,au “projet”, et fuit les mots forts comme “nation”, “peuple” ou “immigration” .Une fois élu, il assume des prises de position plus nettes. La posture “jupiterienne” s’est exacerbée avec l’élection présidentielle : le “nous” s’effondre au profit du “je”. Macron est passé du statut d’outsider à une posture hégémonique où son “je” finit par englober l’ensemble de l’agora.
Aujourd’hui, que reste-t-il du fameux ?
“Et en même temps” Durant la campagne, il est établi statistiquement qu’il l’a utilisé de manière presque éhontée… et revendiquée! Maintenant qu’il est président, il a moins besoin de ménager la chèvre et le chou. Il l’utilise donc moins, même si cette expression n’a pas complètement disparu.
Selon vous, les mots vont-ils continuer à être les alliés de Macron ? Ou peuvent-ils se retourner contre lui ?
On a très vite fait de trébucher sur un mot. Car un même mot peut avoir une connotation négative ou positive. Ses mots savants peuvent être ressentis comme une forme de mépris populaire, de déconnexion des préoccupations quotidiennes. Jusqu’ici, on lui fait plutôt crédit de ses innovations lexicales. Pour l’instant, ils sont ses alliés. Mais ils peuvent aussi devenir son péché mignon.
Après la campagne, le “nous” s’effondre au profit du »