Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Combat quotidien
A Draguignan, Louisette Tiouchichine-Maret a créé l’association Le Cap contre tous les harcèlements. Salaires, violences... Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes, doit annoncer de nouvelles mesures.
En cette Journée internationale des droits des femmes, nous avons choisi de vous présenter Louisette Tiouchichine-Maret qui défend les victimes, en grande majorité des femmes, mais aussi des hommes, du harcèlement sous toutes ses formes. Pour cela elle a fondé Le Cap, basé à Draguignan.
Juriste de formation, Louisette Tiouchichine-Maret, 47 ans, est passionnée de droit du travail. Elle donne des cours dans des organismes privés et se consacre à mi-temps à l’association Le Cap qu’elle a fondée en 2004 pour aider les victimes de harcèlement.
Pourquoi avoir voulu créer cette association ?
Parce que j’ai vécu le harcèlement moi-même. J’étais salariée dans une association qui s’occupait des victimes, j’y travaillais beaucoup et j’ai mis longtemps à me rendre compte que ce que je vivais n’était pas normal, un harcèlement insidieux, pervers, avec toute une stratégie derrière pour que je quitte mon emploi. Je pétais un plomb, je ne comprenais pas. Ce sont les autres qui m’ont ouvert les yeux. Mon médecin m’a mise en arrêt maladie ; pendant trois mois, j’ai beaucoup lu sur la question et j’ai compris le mécanisme et les profils des harceleurs. Celui-là était un « nettoyeur » comme il en existe beaucoup dans les grands groupes pour virer les gens, et d’ailleurs cette personne qui venait de la grande distribution se vantait d’être payée pour cela. Je n’étais pas la seule, on est plein à avoir quitté cette association. J’ai été virée, réintégrée mais à un moment, je me suis dit que je ne pouvais plus travailler avec ces gens-là. J’ai découvert qu’on tombait malade quand on ne se défendait pas et qu’au final, c’est un bonheur de perdre son travail après leur en avoir fait baver comme ils m’en ont fait baver ! C’est alors
que j’ai fondé Le Cap pour venir en aide aux victimes de harcèlement au travail.
Combien de dossiers l’association traite-t-elle par an sur le Var ?
Nous sommes deux juristes à mi-temps et nous avons des bénévoles, des avocats qui se constituent partie civile pour nous. Sur le harcèlement au travail, on a entre et dossiers par an, dont % sont d’ordre sexuel. On traite aussi des violences faites aux femmes, violences conjugales, des discriminations sur la maternité, l’appartenance syndicale, l’âge…
Les médias parlent de plus en plus de toutes ces formes de harcèlements et de violences. Est-ce que les langues se délient aujourd’hui davantage qu’hier ?
Oui. D’ailleurs, certains disent que la parole s’est trop libérée. Pour moi, pas du tout. Dans le monde du travail, ces femmes maltraitées, ces hommes aussi, car nous en avons y compris sur des faits de harcèlement sexuel, sont avant tout des victimes. Des affaires très médiatisées de harcèlement sexuel ont ouvert la brèche, on parle beaucoup de harcèlement à l’école ou de rue mais le harcèlement moral reste un sujet tabou. Dans ce pays, on tourne toujours autour du pot : pourquoi ne pas parler de harcèlement tout court ? On cible des domaines et on en exclut d’autres.
Êtes-vous aussi confrontés à des « faux » cas de harcèlement ?
Bien sûr ! On a dans les entreprises des personnes qui ne sont pas intégrées, ne se sont pas adaptées, qui sont inemployables, des « bombes humaines ». Et des gens, salis, démolis car faussement accusés de harcèlement moral ou sexuel. Les faux témoignages, les cabales, ça existe aussi de la part des salariés et ils devraient être poursuivis à chaque fois par la justice. Notre travail, c’est de démêler le vrai du faux et cela demande du temps : il faut être dans une parfaite neutralité, regarder le contexte, faire des chronologies, comprendre les liens de causalité.
Est-ce que la compétence, l’investissement dans son travail peuvent être source de harcèlement ?
La compétence aujourd’hui est dangereuse car elle dérange les incompétents ! Les gens nous le disent souvent : ils manquent de reconnaissance. Le collectif a disparu dans les entreprises, et dans une société qui est devenue celle du paraître, il vaut mieux parfois faire du lèche-bottes et du vent… Même si vous ne glandez rien, si vous êtes un navet, vous serez récompensés. Je dis toujours qu’en France, on a tué le travail : c’est presque devenu des fois problématique de trop travailler car vous devenez suspect, vous en dérangez d’autres. C’est mon opinion car cette culture du nontravail, je l’ai vécue. Et au final, les entreprises le paient ! J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, on remet le travail au coeur de tout et je pense que c’est indispensable. Il faut que les mentalités changent, regarder le salarié et ce qu’il fait dans l’entreprise avec plus d’objectivité, plutôt que d’essayer de savoir avec qui il va prendre le café, ou ce qu’il fait pendant les week-ends, car l’intrusion de la sphère professionnelle dans la vie privée est aussi devenue un problème.
Comment contacter l’association et comment l’aider à se développer ?
Notre siège est à Draguignan, à la Maison de la solidarité où on a des permanences. Ensuite, on fait de plus en plus de téléconsultations car on est beaucoup sollicités depuis toute la région PACA voire audelà. Ce dont on a le plus besoin aujourd’hui, c’est de financements. Nous sommes soutenus par l’État, la Région, le Département aussi depuis quelque temps. Mais cela ne permet de payer que deux mi-temps et je voudrais pouvoir remettre à temps plein le juriste qu’on a actuellement et qui fait un travail fabuleux avec moi. On reçoit également les dons.
Le Cap, tél. : 04.83.43.17.11.
On tombe malade quand on ne se défend pas ”
Les cabales, les faux témoignages, ça existe aussi ”
La compétence est dangereuse car elle dérange les incompétents ”