Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Benjamin Carle nous fait réfléchir avec un pan bagnat !
Après Made in France, le journaliste réalisateur nous présente Sandwich, un documentaire qui interroge le monde du travail via le do it yourself, diffusé ce soir à 20h55 sur Canal +
On ne sait plus rien faire tout seul. Dans une société mondialisée et spécialisée, nous n’utilisons quasiment plus nos mains. On nous donne accès au prêt à consommer partout, et pourtant, la tendance au do-it-yourself n’a jamais été aussi forte, et dans des domaines aussi divers que le bricolage, la cuisine, le tricot, l’ameublement, l’alimentation… » C’est en partant de ce constat que Benjamin Carle s’est lancé ce défi : confectionner son propre pan bagnat, en fabriquant tous les ingrédients lui-même ! Un défi long, compliqué mais ô combien gratifiant, comme le retrace le documentaire Sandwich. Dix mois durant, ce garçon qui ne se croyait pas manuel pour deux sous a dû bêcher, semer, visser, presser, pétrir, façonner, pêcher, vider, conserver, tuteurer, élever, cueillir, assembler, et même brasser. Du pain au sel, en passant par les crudités, l’oeuf, l’huile et le vinaigre, Benjamin est remonté à la source... Et fait au passage des rencontres édifiantes.
Pourquoi avoir choisi le pan bagnat, précisément ?
C’est mon sandwich préféré ! J’ai fait deux années à Nice à l’Ecole nouvelle, après ma licence, et il y avait une boulangerie à côté qui en faisait d’excellents. L’autre avantage, c’est qu’il y a beaucoup d’ingrédients, ce qui permettait de traiter de plusieurs sujets. Et le dernier élément, c’est qu’il y a une recette. Je voulais avoir un objectif précis quant à la marche à suivre. Sur plein de sujets liés à la cuisine il y a un peu de conservatisme, et j’aime ce côté défense des traditions, comme le fait La commune libre du pan-bagnat, qui défend un sujet sur lequel, à Nice, tout le monde a son avis !
De la confection du pain à la pêche au thon, vous vous êtes lancé un défi de taille…
Le moment où l’on passe de la théorie à la pratique est très compliqué ! J’étais pire qu’un piètre bricoleur, je n’osais même pas me confronter à cela. Cela tient d’une forme d’autocensure qui nous pousse à racheter un objet plutôt que de l’ouvrir, de crainte de ne pas savoir le réparer. Je n’ai jamais été trop mauvais en revanche quand, à côté de moi, j’avais quelqu’un qui savait faire. Et par rapport à cette idée étrange de sandwich, chaque étape réussie était une petite victoire sur la réalité matérielle des choses, comme le dit Matthew Crawford, le philosophe mécanicien américain. Au bout de dix mois de tournage, j’ai eu le sentiment de davantage ressembler à ces gens qui ont cette assurance, qui s’appelle l’expérience, face aux problèmes pratiques !
Qu’est-ce qui a été le plus compliqué ?
Physiquement, c’était sur le bateau de pêche au thon… Comme dans la chronologie des événements j’avais un peu de succès dans mes tomates, j’avais l’impression que tout était possible ! Mais c’était très bien aussi, de découvrir qu’on ne pouvait pas challenger ces pêcheurs avec son inexpérience de Parisien ! Et la houle n’arrangeait rien. Sinon, le plus compliqué, c’était le pain. Parce que ça regroupait trois ou quatre métiers différents. Pour semer, par exemple, je ne connaissais pas le rendement potentiel et, en plus, ça a gelé pendant la nuit... On a cru que c’était fini dès le premier jour de tournage !
Grâce à ce projet, vous avez fait de belles rencontres ? Depuis le début, le sandwich était un prétexte. Je suis parti du do it yourself et, en mettant le doigt dans l’engrenage, ça m’a emmené à la question du travail, de l’autonomie, de notre rapport à nos mains, jusqu’à redécouvrir le mode de vie de l’homo sapiens. Et il y avait à chaque fois les rencontres qui allaient avec. Comme ce producteur d’huile d’olive ou ce juriste apprenant à brasser de la bière, qui racontait tellement des choses en lien avec la problématique de départ.
Comme le fait que le do it yourself compense ce sentiment d’être un maillon monotache au sein d’une entreprise ?
J’ai des amis qui sont dans des métiers plutôt cool a priori, dans le Web, dans le marketing mais qui en soirée passent plus de temps à raconter leurs cours de cuisine, ou leurs échanges de patrons de tricot avec des copines qui ont le même sentiment au bureau. Tous racontent l’à côté du travail.
Et ce n’est pas propre aux trentenaires ?
C’est ce que me dit Jean-Benoît, l’oliveron. Il a ans, il a commencé cette activité il y a quinze ans, donc la pression se faisait déjà, ce n’est pas nouveau. J’ai rencontré une docteure en physique spécialisée dans la géologie de la roche, qui crée des origamis qu’elle vend sur Internet. L’idée selon laquelle on changerait plusieurs fois de métier dans une vie est peut-être la prise en compte de cela. Je crois beaucoup en l’impact de la société sur les individus. Et c’est pour cela que j’interroge la consommation qui nous a éloignés de la fabrication, et le monde du travail qui nous a bloqués dans des tâches uniques.
Le do it yourself n’est pas forcément un luxe de pays développé, comme l’affirme l’économiste Benjamin Koenig dans ce film ?
Il a raison en théorie, sauf que les gens font autrement. Cette attitude peut paraître idiote d’un point de vue logique et comptable, mais on peut être très irrationnel dans notre façon d’agir sur le concret.
En résumé, que vous a apporté cette expérience ?
Une fierté évidente, la satisfaction du travail fait manuellement. L’an dernier je n’ai pas mangé mieux que ce sandwich, malgré les défauts qu’il avait au niveau du pain. En croquant dedans, j’ai vu rassemblé tout ce que j’ai fait pour en arriver là. Et son goût était incomparable…
« Pour semer, par exemple, je ne connaissais pas le rendement potentiel et, en plus, ça a gelé pendant la nuit... On a cru que c’était fini dès le premier jour de tournage ! »