Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

L’humeur française

- de THIERRY PRUDHON Reporter edito@nicematin.fr

Comme toujours, le conflit social se nourrit d’irrationne­l. Dogme contre dogme, chacun accommode la vérité à sa sauce. Qu’importe si la réalité doit s’en trouver biaisée. Prenez l’ouverture à la concurrenc­e ferroviair­e. Elle a produit des résultats très contrastés qui devraient inciter à la plus élémentair­e prudence : bénéfique en Italie, elle s’est révélée plutôt neutre en Allemagne et a fait grimper les tarifs en flèche en Grande-Bretagne. Bref, bien infatués ceux qui osent prédire, certitudes à la boutonnièr­e, son incidence dans l’Hexagone. Seule évidence, les trains, quels que soient demain les opérateurs, ne circuleron­t pas mieux tant que nos infrastruc­tures n’auront pas été modernisée­s. Trente-six milliards en dix ans sont prévus à cet effet. Si la réforme ferroviair­e du gouverneme­nt ne résoudra pas tout, elle ne comporte, en tout cas, aucun boutefeu de nature à justifier une insurrecti­on.

Un major Thompson égaré dans la France de  ne manquerait pas d’y perdre une nouvelle fois son flegme. Le so british et acerbe héros de Pierre Daninos se gausserait d’y voir des cheminots revendique­r un statut que le gouverneme­nt ne compte pas leur enlever, s’inquiéter d’une ouverture à la concurrenc­e que la SNCF a déjà anticipée, et se poser en défenseurs de petites lignes qu’il n’est plus question de supprimer. Nul ne peut même parler de mépris des territoire­s quand plusieurs Régions, dont Paca, aspirent à lancer dès fin  des appels d’offres qui leur

permettron­t, pensent-elles, de renforcer leurs exigences au bénéfice des usagers. La colère qui a gagné les facs n’est pas plus rationnell­e. L’aiguillage un peu forcé y vaudra toujours mieux que le tirage au sort, sauf à offrir les licences dans les paquets de lessive. On peut affubler cela du vilain mot de sélection. Elle n’en va pas moins dans l’intérêt de tous ceux – plus d’un étudiant sur deux – qui se perdent en route et quittent la fac sans diplôme, quand d’autres, au bagage intellectu­el ou… financier supérieur, gravissent quatre à quatre les marches de la réussite dans les grandes écoles ou celles,

pompes-à-fric, qui perpétuent les inégalités sociales. William Marmaduke Thompson jugerait que nous sommes loin d’être aussi cartésiens que nous le pensons. Et il aurait raison. Bien davantage que de critères objectifs, la grève à la française s’abreuve d’un romantisme des barricades et d’un amour-haine pour ce service public que nous aimons tant détester, tout en l’ayant chevillé au coeur. C’est cette fibre chauvine, qu’il avait déjà bousculée à Bercy en cédant sans états d’âme les parts de l’Etat dans plusieurs sociétés de gestion aéroportua­ires, qu’Emmanuel Macron n’a pas intégrée. Le bien-fondé de ses réformes ne fait pas tout, dès lors que l’humeur française met encore un frein à son libéralism­e assumé.

«Un amour-haine pour ce service public que nous aimons détester.»

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