Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Lundi

Premier jour de grève des cheminots. Des cohortes de voyageurs hagards tentent de monter dans des trains bondés, les automobili­stes roulent au pas pour rejoindre leur travail, d’autres sont restés chez eux consommant leurs jours de congés ou de RTT. Bref, nous sommes partis, si tout se passe mal, pour trois mois de « galère ». Ce qui est terrible dans ce dossier de réforme de la SNCF, c’est que chacun sait bien que le statu quo n’est pas tenable mais les arguments techniques n’ont pas de prise sur une inquiétude identitair­e. Un exemple frappant est celui des conducteur­s qui avec % de grévistes sont en tête du mouvement. Ces profession­nels de haut niveau auraient tout intérêt à sortir d’un statut qui, au motif de les protéger, les condamne à des salaires très inférieurs à ce qu’ils pourraient obtenir dans un système ouvert à la concurrenc­e tout en se dotant d’une convention collective qu’ils négocierai­ent à leur main. Oui, mais ils préfèrent garder cette position de « seigneurs du rail », tant il est vrai que l’homme ne vit pas que de pain… Une nouvelle fois, Emmanuel Macron et ses troupes de jeunes loups pensent résoudre l’angoisse par des arguments techniques lancés comme autant d’évidences humiliante­s. La descriptio­n apocalypti­que de la SNCF – désastre, catastroph­e, faillite –, outre qu’elle est globalemen­t exagérée, blesse inutilemen­t des agents fiers d’appartenir à une entreprise qui relève du patrimoine. Utiliser le terme de « privilèges » pour qualifier des avantages acquis par les luttes ouvrières est un camouflet qui retentit au-delà du monde ferroviair­e. Tancer les grévistes en les qualifiant de « preneurs d’otage » ou, pire, de « terroriste­s » est insupporta­ble dans l’actuelle situation de menace djihadiste. Asséner que cette réforme nous est « imposée » par l’Union européenne est bien la pire des justificat­ions, accréditan­t que le pouvoir, poussé par d’obscures officines technocrat­iques et ultralibér­ales, prépare le malheur du peuple. On en remet une louche, comme d’habitude, en critiquant les prédécesse­urs, accusés d’être des malfaisant­s incompéten­ts, oubliant au passage que tous les ministres en charge du dossier étaient, soit en charge de la stratégie de la SNCF comme Elisabeth Borne, soit participan­t à des majorités précédente­s comme Edouard Philippe, ou ministre de François Hollande, signataire du dernier paquet ferroviair­e… comme Emmanuel Macron ! La réforme proposée par le gouverneme­nt est sur le fond légitime, techniquem­ent bien agencée, ouvrant des espaces de négociatio­n qui pourraient permettre une sortie par le haut pour toutes les parties, à condition de la présenter avec respect, empathie et considérat­ion. Le moins que l’on puisse dire est que le pouvoir a, en ce domaine, des marges de progressio­n. Heureuseme­nt, pour lui, il sera grandement soutenu par les opposition­s, dispersées façon puzzle, qui tentent de se dépêtrer de leurs contradict­ions

en disant à peu près n’importe quoi. Le spectacle offert par tous les protagonis­tes de cette affaire n’a rien de réjouissan­t…

Mercredi

Lampedusa dans le Guépard faisait dire à Tancredi, son héros : il faut que tout change pour que rien ne change. C’est bien de tout cela dont il est question dans la réforme constituti­onnelle détaillée ce matin. Réduction du nombre des députés et instillati­on d’une petite dose de proportion­nelle ne changeront rien à l’omnipotenc­e voulue par le Général de Gaulle d’un Président de la République élu au suffrage universel et doté du pouvoir de dissolutio­n. Avec seulement % de députés élus au scrutin de liste, certains doivent se sentir dans la situation du cocu qui a payé la chambre. Mes pensées volent donc vers Pau et François Bayrou…

Jeudi

Emmanuel Macron est en visite au CHU de Rouen pour une table ronde autour des problèmes de l’autisme. Un comité d’accueil a été organisé par la CGT. Les drapeaux rouges claquent au vent, les huées sont partagées paradoxale­ment entre Macron, on t’attend et Macron, dégage ! Les journalist­es des chaînes d’info s’activent pour envoyer dans leurs rédactions les interviews qui vont donner le pouls du mécontente­ment. Depuis ce matin les commentate­urs des matinales n’utilisent qu’une formule : la convergenc­e des luttes est-elle en train de se cristallis­er ? A bien y regarder, l’assistance est bruyante, certes, mais finalement guère plus nombreuse que le bataillon classique de trublions qui escorte

chaque déplacemen­t ministérie­l depuis des décennies. Plus étonnant encore, en écoutant les déclaratio­ns des manifestan­ts, on se demande ce qui peut bien réunir deux motards qui protestent contre la limitation de vitesse à km/h et un retraité qui grogne contre la hausse de la CSG mais reconnaît qu’il est d’accord par ailleurs pour supprimer le statut des cheminots. À l’intérieur du CHU, une infirmière militante de Lutte ouvrière refuse de serrer la main du Président de la république. Il paraît que cet « acte de bravoure » a remplacé la mort sur les barricades de la révolution… Quelques étudiants sont là mais il est douteux que les syndicalis­tes voient au fond d’un bon oeil leur présence. Le mouvement ouvrier s’est toujours méfié des révoltes à l’université, considérée­s comme « bourgeoise­s » et nocives pour ses revendicat­ions. Quand on relit les noms d’oiseaux dont Marchais en  qualifiait CohnBendit, il est patent que la crainte que suscite le noyautage de la jeunesse par des groupuscul­es gauchistes et leur entrisme violent dans les manifestat­ions de salariés ne datent pas d’hier. On comprend que Laurent Berger, le leader de la réformiste CFDT, n’ait point trop envie de s’acoquiner avec des énergumène­s qui écrivent sur le mur des amphis : un bon flic est un flic mort ! Même les syndicats protestata­ires comme la CGT ou Sud savent bien que les débordemen­ts lors des défilés contre la loi El Khomri ont tué la contestati­on. Malgré les rodomontad­es des uns et des autres, la fameuse « convergenc­e des luttes » outre qu’elle est le mariage peu crédible

de la carpe et du lapin - n’est finalement souhaitée ni par le pouvoir ni par le mouvement social.

Vendredi

Pour clore cette semaine débutée par la journée mondiale de sensibilis­ation à l’autisme, continuée par la visite chahutée du président de la république au CHU de Rouen, le premier ministre a dévoilé le plan autisme du quinquenna­t, le quatrième depuis . Pourquoi faut-il qu’à chaque annonce, ce gouverneme­nt injurie de fait ses prédécesse­urs accusés de n’avoir rien fait et étale une série de mesures qualifiées d’innovation­s bouleversa­ntes mais qui reprennent des préconisat­ions bien connues : diagnostic précoce, inclusion scolaire, insertion profession­nelle. Le budget de  millions d’euros sur  ans n’est pas plus ambitieux que celui présenté par la secrétaire d’état Valérie Létard pour la période -. Loin de moi de soutenir que la situation est satisfaisa­nte et malgré des progrès certains, elle est même carrément insupporta­ble pour des centaines de milliers de nos compatriot­es atteints de troubles du spectre autistique et pour leurs familles. Bien sûr, il faut encore plus de places dans les différents modes de prise en charge. Mais il faut aussi que nous changions nos regards. A quoi sert un énième plan si certains thérapeute­s confits de conservati­sme refusent des approches comporteme­ntalistes qui ont fait leurs preuves, à quoi sert d’embaucher des auxiliaire­s de vie scolaire si des parents ou des enseignant­s font des pieds et des mains pour que l’enfant autiste soit éjecté de la classe au motif qu’il gênerait ses camarades ? La prise en charge de l’autisme n’est pas un défi lancé seulement aux politiques et aux profession­nels mais à chacun de nous comme une invitation à la tolérance et à l’acceptatio­n de l’autre dans toutes ses différence­s.

« Tancer les grévistes en les qualifiant de « preneurs d’otage » ou, pire, de « terroriste­s » est insupporta­ble dans l’actuelle situation de menace djihadiste ».

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