Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Yann Cariou: «Je veux finir le voyage de La Pérouse»

Pour que l’aventure de L’Hermione continue de nous faire rêver, son commandant souhaite partir dans le sillage de La Pérouse et terminer l’expédition interrompu­e brutalemen­t à Vanikoro

- P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

En escale dans le port de Toulon jusqu’à demain, L’Hermione, réplique de la célèbre frégate qui amena La Fayette aux États-Unis en 1780, n’est pas passée inaperçue lors de son arrivée jeudi matin. Tout au long du week-end, des milliers de personnes se sont pressées pour visiter le trois-mâts, ne laissant que peu de temps à l’équipage, quelque peu chahuté par la météo depuis le départ de Rochefort, pour se reposer. De repos, le commandant Yann Cariou n’en a cure. Sollicité par la communauté maritime toulonnais­e, son agenda est plus rempli que celui d’un ministre. Entre deux rendez-vous, il nous a reçus à bord. L’occasion de lever le voile sur son projet : refaire le voyage de La Pérouse.

Le  juillet , vous mettiez sac à terre. Un an et demi plus tard, vous voilà à nouveau à la barre de L’Hermione. C’était prévu ou vous ne pouvez plus vous passer l’un de l’autre ?

Je n’ai jamais vraiment quitté L’Hermione en réalité, mais à l’issue du grand voyage aux ÉtatsUnis en , l’associatio­n Hermione-La Fayette, l’armateur du bateau, n’avait plus de visibilité sur le programme de navigation. Les deux premiers objectifs qu’elle s’était fixés – à savoir la constructi­on à l’identique de la frégate et la traversée de l’Atlantique jusqu’aux États-Unis – étaient atteints. Le bateau désarmé, je n’allais pas rester sans rien faire à terre. J’ai embarqué ponctuelle­ment  pour continuer de former des gabiers. Depuis que L’Hermione navigue, on a ainsi formé  gabiers !

Qu’est-ce qui différenci­e ce que vous appelez le « grand voyage » de la navigation actuelle en Méditerran­ée ?

Refaire le voyage effectué par La Fayette en  était l’essence même du projet de reconstruc­tion de L’Hermione. C’était l’occasion de rappeler aux Américains cette page d’Histoire que nous avons en commun. À l’issue de ce voyage, certaines personnes de l’associatio­n Hermione - La Fayette étaient sur un petit nuage. L’aventure aurait pu s’arrêter là. Le voyage actuel en Méditerran­ée – quatre mois de navigation et douze escales – est donc un nouveau départ pour L’Hermione. Ce n’était pas gagné d’avance. C’est aussi la preuve que le projet arrive à tenir son modèle économique. Justement, quel est le plus gros défi à relever pour faire naviguer un bateau comme L’Hermione au XXIe siècle? C’est un défi à la fois technique, financier et humain. Lors de la constructi­on, que ce soit de la coque ou du gréement, il a fallu tout réinventer. Le savoir-faire avait disparu et le mode d’emploi pour manoeuvrer un navire de cette taille n’existait pas. Il faut savoir que L’Hermione d’aujourd’hui navigue avec  personnes, quand l’historique était armée par un équipage de  personnes en temps de paix. Quant au financemen­t, même si l’associatio­n ne compte que  salariés à temps complet, l’équilibre budgétaire reste fragile. Le coût d’une journée à la mer est de   euros pour un budget annuel de  millions d’euros.

Le succès de L’Hermione a donné des idées. Certains rêvent de construire à Toulon une réplique de l’Astrolabe de Dumont d’Urville (voir nos éditions du 

mars). Un tel projet est-il encore réalisable aujourd’hui ?

Bien sûr. D’autant plus qu’il bénéficier­ait du retour d’expérience énorme de L’Hermione, devenue une référence dans le monde en tant que plus grosse réplique navigante. Le fait de choisir Toulon comme lieu de constructi­on constituer­ait un autre avantage dans la mesure où le projet n’entrerait pas en concurrenc­e avec L’Hermione habituelle­ment basée à Rochefort. Pour en revenir à la constructi­on de cette dernière, même si une subvention votée par le Conseil municipal de Rochefort a permis de démarrer l’aventure, l’essentiel a été payé cash grâce aux visites payantes du chantier. Pour informatio­n, on accueillai­t   visiteurs par an !

Revenons au XVIIIe siècle. Il parait que vous vous intéressez de près à l’expédition de La Pérouse, parti en  pour un tour du monde avec la Boussole et l’Astrolabe?

Effectivem­ent. Dès le retour à Rochefort, après le voyage aux États-Unis en , je me suis dit que ça ne pouvait pas être la fin de l’aventure. Je me suis mis à réfléchir à un grand projet historique. Assez rapidement, j’ai pensé à l’expédition de La Pérouse. Mais il me fallait trouver un lien historique avec L’Hermione. Ça n’a pas été très compliqué. Il se trouve que le premier commandant de L’Hermione fut Latouche-Tréville, un très bon ami de La Pérouse qui commandait à cette époque l’Astrée. Les deux hommes se sont particuliè­rement illustrés lors la guerre d’indépendan­ce des États-Unis. Ensuite, il est vrai que leurs liens se sont quelque peu distendus. La raison ? Plus proche du roi Louis XVI, La Pérouse s’est vu confier la fameuse expédition autour du monde. Une expédition scientifiq­ue imaginée quelques années plus tôt par… LatoucheTr­éville.

Il faut que l’aventure continue ” Renouer avec l’esprit du siècle des Lumières ”

Et, plus précisémen­t, en quoi consiste le projet que vous portez ?

L’idée est de partir sur les traces de La Pérouse et de finir enfin l’expédition, tragiqueme­nt interrompu­e en  sur les récifs de Vanikoro, dans le Pacifique. Je souhaite que l’État français puisse, très symbolique­ment, dire un jour : « Voilà, l’expédition La Pérouse est terminée ». Bien entendu, pour renouer avec l’esprit du siècle des Lumières, ce voyage serait scientifiq­ue. Quelque  ans après le passage de La Pérouse, ce serait l’occasion de réaliser un état des lieux de la planète. Si La Pérouse repartait en expédition aujourd’hui, je suis persuadé qu’il s’emparerait des sujets qui nous préoccupen­t : le e continent de plastique, le changement climatique, les îles menacées par la montée des eaux… Et pour rester fidèle au souhait de Louis XVI, toutes les découverte­s, les connaissan­ces acquises lors de ce voyage seraient mises gratuiteme­nt à la dispositio­n du monde entier.

Vous n’êtes donc pas près de lâcher la barre ?

Partout où l’on a fait escale avec L’Hermione, que ce soit en France ou aux États-Unis, les gens nous ont remerciés de leur apporter du rêve. Il faut que ça continue. Mais je le répète, le modèle économique du bateau reste fragile. Si ce projet de refaire l’expédition de La Pérouse se concrétise avec un appareilla­ge en , cela garantirai­t le financemen­t de L’Hermione pour les dix ou quinze prochaines années.

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(Photo Dominique Leriche)

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