Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Georges Roux construit le village de Brue pour devenir marquis
C’est l’histoire d’un homme qui, au milieu du XVIIIe siècle, ayant fait fortune et voulant devenir noble, créa de toutes pièces un village afin d’en être le seigneur. Ce village s’appelle Brue. Il existe toujours, dans le département du Var, mais il est devenu Brue-Auriac. Cet homme si singulier porte un nom bien courant dans la région: Georges Roux. Georges Roux est né à Tino, en Corse, en 1 703. Son père, après avoir travaillé dans une île grecque où il avait amené sa famille, s’installa à Marseille pour commercer avec les Antilles. Une fois en âge de l’aider, Georges se rendit en Martinique et fit fortune. Il construisit un hôtel particulier à Marseille, rue Montgrand – hôtel qui deviendra au XIXe siècle le siège de la préfecture puis celui du lycée Montgrand.
Il introduit la mayonnaise en France
À partir de 1730, Georges Roux est l’un des premiers importateurs de café en France. Il irrigue tout le bassin méditerranéen de cette denrée. Il introduit également en France un autre produit culinaire inattendu : la mayonnaise ! On prétend que cette sauce fut goûtée pour la première fois en France dans son hôtel particulier le 22 juillet 1756, ramenée de la ville de Mahon aux Baléares par le maréchal Richelieu – petitneveu du célèbre cardinal – qui faisait partie des invités ce soir-là, et qui venait de reprendre les Baléares aux Anglais. Georges Roux avait beau être riche, il lui manquait quelque chose : un titre de noblesse. Il décide alors, en 1746, d’acheter dans le Var, près de Brignoles, le fief de Brue, constitué de terres vacantes, inhabitées. Pendant quatre ans, il fait défricher bois et jachères et assécher les marais. En 1750, il pose la première pierre du nouveau village, béni par le curé de Brignoles. C’est alors qu’il obtient la consécration tant attendue : la transformation par le roi Louis XV de ses terres en marquisat. Georges Roux devient le marquis de Brue ! Au centre de son village, il construit son château. À côté de son château sa chapelle. Il installe une manufacture de soie comportant vingttrois moulins, une filature de coton, une faïencerie, une chapellerie, trois tanneries. Il fait planter les mûriers par milliers. Les ouvriers arrivent par centaines. On en compte six cents en 1 758. En 1765, vingt ans après sa création, le village compte plus de huit cents habitants. Rien de l’arrête. Il crée sa propre monnaie.
Le pigeonnier seul témoin de sa grandeur
Pendant ce temps, il continue à faire prospérer ses activités d’armateur à Marseille. Il se lance dans l’aventure militaire. Pendant la guerre de succession d’Autriche (1741-1748), il arme plusieurs de ses bateaux et continue à faire fortune. Lorsqu’arrive la guerre de Sept ans entre la France et l’Angleterre (1756-1763), il s’endette pour acheter de nouveaux bateaux. On prétend qu’il a déclaré personnellement la guerre au roi d’Angleterre. Le curé du village aurait surpris un document ainsi libellé : « Déclaration de guerre de Georges Roux, marquis de Brue, à Georges, roi d’Angleterre ». C’est alors que tout s’écroule. Au cours de cette guerre, il perd, coup sur coup, trois de ses navires. C’est, soudain, la faillite. Lui, si riche jusqu’alors, ne peut rembourser ses dettes. Du jour au lendemain tout a basculé. Les courtiers se retournent contre lui, font saisir ses biens. Une si grande fortune, une chute aussi vertigineuse ! Il se replie dans ce qui reste de son château de Brue. Il y meurt en mars 1792. Le village de Brue a survécu à sa déchéance. En 1840, Brue s’est uni au village voisin pour constituer la commune de Brue-Auriac. Le château a été rasé à la Révolution. Seul le pigeonnier qu’avait fait construire Georges Roux, le plus haut d’Europe ( 22 mètres), inscrit au Guiness book des records, continue à surveiller le village. Tel est, dressé dans le ciel varois, le dernier témoin d’une folle grandeur passée.
Maraîchers et poissonniers sillonnaient les ruelles du vieux-Nice avec leurs charrettes à bras, proposant presque au porte-à-porte, leurs marchandises, notamment la poutine au printemps. La vie moderne y a mis fin dans la seconde moitié du XXe siècle
Depuis le Moyen Âge dans le comté de Nice, les petits producteurs ont eu l’habitude de descendre des collines pour livrer leur production au plus près des gens de la ville. Et, comme les habitudes ont la vie dure, malgré le rattachement de Nice à la France en 1860 et les débuts de l’ère industrielle, à la fin du XIXe siècle, les Niçois n’ont rien changé à leur mode de vie. Nombre de petits marchands ont donc continué à vendre leurs produits, presque au porteà-porte. Et, ils étaient très attendus. Au printemps, l’arrivée de la poutine – alevins de sardine ou d’anchois – produisait toujours une certaine effervescence dans les rues niçoises. Tirant leur charrette à bras, les poissonnières clamaient haut et fort : « À la bella poutina ! ». Immédiatement, elles étaient assaillies. Pour être appréciée à sa juste valeur, la poutine se dégustait crue. Les marchandes la servaient étalée sur des tartines de pain frais, assaisonnée d’un filet d’huile d’olive et d’un trait de jus de citron pour ceux qui voulaient la dévorer sur place. Plus discrètes, les paysannes venues à pied ou à dos de mulet, s’installaient dans les rues très fréquentées. Très attendues, les marchandes d’oignons, passaient de maison en maison avec sur la tête, leur panière en osier, remplie de ces bulbes, ingrédients de base de la cuisine niçoise. Les jeunes bergers étaient reconnaissables à leurs jambières de laine. Ils n’hésitaient pas à taper aux portes pour proposer leurs fromages. Appréciés aussi les vendeurs de socca – galettes de farine de pois chiche – qui, avec leur charrette équipée d’une grande tourtière, s’installaient à la sortie des ateliers ou des chantiers.
La grata-keka, gourmandise estivale
Les plus grands ambulants étaient sans conteste les glaciers qui sillonnaient sans cesse la promenade des Anglais. Les jours de grande chaleur, ils servaient des boissons fraîches, des crèmes glacées, mais surtout la grata-keka, chère aux Niçois. Cet ancêtre du granité se présentait en paillettes obtenues en râpant un bloc de glace et arrosées de sirop. Selon, les reliquats de marchandises, tout ce petit monde ambulant finissait sa tournée sur la place aux Herbes – actuelle place Rossetti – où se tenait le marché de Nice depuis le XIIIe siècle. Il a été transféré à l’entrée du Vieux-Nice sur le cours Saleya en 1861, devenant peu à peu un marché aux fleurs. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la plupart de ces marchands se sont sédentarisés.
Sources: Des Métiers et des hommes, Traditions et industries, éditions Gilletta-Nice-Matin.