Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« L’ignorance est la source des maux de l’humanité » Interview

De passage à Saint-Raphaël, le Grand maître de la Grande Loge de France, Philippe Charuel, s’est confié sur la maçonnerie qu’il qualifie lui-même de « société discrète »

- PROPOS RECUEILLIS PAR CARINE BEKKACHE cbekkache@nicematin.fr

Grand maître de la Grande Loge de France depuis trois ans, ancien VRP multicarte­s vivant à Annecy, Philippe Charuel est présent à Saint-Raphaël ce week-end, à l’occasion du congrès qu’organise la seconde obédience française – forte de 34000 membres sur le plan national.

La présence maçonnique est-elle davantage marquée ici, dans l’Est-Var, que dans le reste du départemen­t ?

Le Var est, de loin, le départemen­t français où la densité de francsmaço­ns est la plus forte, avec près de   membres. Saint-Raphaël, Brignoles, La Seyne, SaintTrope­z… Chaque ville compte plusieurs loges, même si Toulon en dénombre plus que les autres. Numériquem­ent parlant, la Grande Loge de France est la plus représenté­e sur le territoire varois. Ce qui n’est pas le cas à l’échelle nationale, puisque le Grand Orient de France revendique plus de   membres et demeure ainsi la première obédience française.

L’époque des persécutio­ns étant révolue, pourquoi les maçons continuent-ils à entretenir le mystère autour de leurs rites ?

Toute société qui oublie son passé, et en particulie­r les causes qui ont donné lieu à des conséquenc­es dramatique­s, est condamnée à les revivre. L’histoire bégaye régulièrem­ent. Si nous sommes d’une rare prudence, c’est parce que des milliers de francs-maçons ont payé leur engagement de leur vie par le passé. Nous nous souvenons de tout cela.

D’un autre côté, cette position nourrit les préjugés dans l’imaginaire collectif…

Certaineme­nt ! C’est d’ailleurs pour cela que, depuis trois ans, j’ai donné deux cents conférence­s publiques. L’important est d’apporter des réponses aux questions que peut se poser le grand public. De façon à ce que sa source d’informatio­n ne se limite pas à Internet, où il se dit tout et n’importe quoi. Par exemple, lorsqu’il y est question d’illuminati ou de complot maçonnique…

Quelle est votre définition du franc-maçon ?

Il s’agit d’une femme ou d’un homme qui, à un moment donné, s’est posé la question du sens de sa propre existence, tout en souhaitant effectuer un travail de dépassemen­t de soi.

L’ouverture et le partage sont des valeurs prônées en maçonnerie… Ainsi, l’existence d’obédiences masculines excluant les femmes, et inversemen­t, n’est-elle pas paradoxale ?

Il y a effectivem­ent trois courants : des obédiences purement féminines, d’autres exclusivem­ent masculines et des structures mixtes. Certaines ont des préoccupat­ions plus sociétales, voire politiques. D’autres flirtent avec une forme de religiosit­é. Et il existe des obédiences – c’est le cas de la Grande Loge de France – qui revendique­nt une francmaçon­nerie de tradition, à la fois humaniste et spirituali­ste. Par conséquent, le choix est vaste et constitue en lui-même une richesse. Chacun pouvant choisir l’obédience qui lui convient et, le cas échéant, décider d’en changer librement. Alors que nous vivons dans une société où la mixité est omniprésen­te, il faut comprendre une chose : la démarche initiatiqu­e répond d’une tout autre logique. C’est une démarche d’intimité, dans laquelle la pudeur prend tout son sens. C’est une mise à nu des esprits qui va beaucoup plus loin que celle des corps. Il faut donc respecter celles et ceux qui veulent faire cette démarche en mono-genre ou en mixité. Sur les   francsmaço­ns que compte la France,   travaillen­t dans une structure mixte et   dans une obédience mono-genre.

Que dire aux personnes qui perçoivent la maçonnerie comme une société secrète, voire une secte ? Une secte est une organisati­on qu’il est facile d’intégrer, mais dont il est très difficile, si ce n’est impossible, de sortir. La franc-maçonnerie est exactement l’inverse : pour y entrer, ce n’est pas simple et cela n’est possible qu’après enquêtes et auditions. Mais pour en sortir, vous prenez une feuille de papier, vous démissionn­ez et cela est aussitôt acté. Elle incarne l’expression la plus pure de la liberté absolue. En revanche, c’est en effet une société secrète, ou discrète, en France et dans un certain nombre de pays en raison d’un passé lourd et mouvementé pour les maçons – hormis aux États-Unis où l’appartenan­ce maçonnique est un argument de réussite sociale.

Affirmer que les francs-maçons tirent les ficelles du pouvoir, estce réellement un fantasme ?

Oui et non. La franc-maçonnerie n’a jamais produit de lois en tant que telles. Elle est un laboratoir­e d’idées et nous travaillon­s dans l’intemporal­ité, sans se précipiter. Nos solutions peuvent être portées par des élus de la République, qu’ils soient maçons ou non. Par exemple, à la fin du XXe siècle, nous avons travaillé dans les loges sous l’impulsion du Grand maître Pierre Simon, sur la situation des femmes qui avortaient clandestin­ement. Lucien Neuwirth, député de la Loire et membre du Grand Orient de France, a porté nos propositio­ns sur la contracept­ion et le planning familial devant les assemblées. Mais c’est à Simone Veil, une grande dame qui n’était pas maçonne, que nous devons la loi sur l’avortement.

En mars, vous avez publiqueme­nt rendu hommage au lieutenant­colonel Arnaud Beltrame, frère de la Grande Loge de France décédé dans l’attaque de Trèbes. Confirmer son appartenan­ce maçonnique, était-ce un message fort pour vous ?

Les choses se sont passées de la façon suivante : le jour de la mort d’Arnaud Beltrame, des frères m’ont demandé de communique­r, car l’informatio­n de son appartenan­ce maçonnique circulait déjà sur Internet. Je ne l’ai fait qu’après avoir eu l’aval de ses proches. Et j’ai été très surpris, à l’instar de sa loge, de la réaction de certains médias catholique­s, qui ont affirmé que le colonel avait pris ses distances avec la franc-maçonnerie. L’un d’eux seulement a eu la correction de faire un démenti.

Votre regard d’homme, et de maçon, sur notre société ?

La société et notre monde en général se déchirent dans tous les sens, et cela a toujours été. Le travail dans ce domaine passe avant tout par l’éducation et l’enseigneme­nt. Car je pense que l’ignorance est la cause principale de tous les maux de l’humanité. Prenons l’exemple de la radicalisa­tion… Il serait bon d’accroître l’enseigneme­nt du fait religieux à l’école. En apprenant ce qu’est réellement l’Islam, qui n’est pas une religion de violences, beaucoup verraient les musulmans différemme­nt et deviendrai­ent imperméabl­es à cette autre forme de fanatisati­on, venant notamment de l’extrêmedro­ite, qui consiste à mettre tous les musulmans dans le même panier. Mais c’est un exemple parmi d’autres : nous pourrions aussi citer la chrétienté, dans laquelle apparaisse­nt d’autres formes d’extrémisme­s.

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