Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

La mère de la policière niçoise noyée: «Je veux des réponses»

Un hommage sera rendu à Paris ce matin à Amandine Giraud, cette jeune policière qui s’est noyée lors d’un exercice dans la Seine, le 5 janvier dernier. Sa mère, Élisabeth, s’est confiée à notre titre

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

C

e n’est pas seulement la policière qui a disparu dans la Seine. C’était ma fille, c’était la soeur... C’était une fille pleine de vie, qui avait plein de projets.» Au téléphone, la voix oscille entre chagrin extrême, lucidité, colère froide et combativit­é. Élisabeth, la mère d’Amandine Giraud, veut « savoir la vérité ». Comprendre comment sa fille a trouvé la mort à l’âge de 27 ans, le 5 janvier dernier, lors d’un exercice de la brigade fluviale dans la Seine déchaînée. Le corps de la jeune Niçoise, originaire du quartier Saint-Roch, est réapparu à la surface le 29 avril. Ce dénouement va permettre la tenue d’un hommage, ce matin, à la préfecture de police de Paris. Puis une cérémonie religieuse à Nice, mercredi à 10 h, en la basilique Sainte-Réparate. « Cela va être assez intense… », souffle Élisabeth, à l’heure de quitter son domicile cannois pour la capitale. Mais le temps du deuil n’éclipse pas celui des questions. Or, elles sont nombreuses. Une première enquête de l’IGPN, faisant écho aux accusation­s du syndicat Unsa-Police, a pointé de nombreuses erreurs humaines. Trois enquêtes sont en cours. Dont une, judiciaire, pour «homicide involontai­re». Élisabeth, son ex-mari (qui vit à Nice) et leur fille (dans la Marine à Toulon) se sont constitués partie civile. Sans interférer avec le dossier, cette maman éplorée a accepté de se confier dans nos colonnes. Pour dire qui était sa fille. Et quelle est sa révolte. Un témoignage empli d’amour. Un récit bouleversa­nt.

Quel a été le parcours de votre fille depuis son enfance à Nice ?

Elle a été scolarisée à l’école Bischoffsh­eim, au collège Risso, puis au lycée de l’Est. Après le bac, elle a entamé une année de droit, puis est rentrée comme cadet de la République à la caserne Auvare. Elle est devenue adjoint de sécurité à Marseille, puis a passé le concours de gardien de la paix à l’école de police de Nîmes. Son souhait était d’être mutée à Paris pour intégrer la brigade fluviale.

Une vraie vocation ?

Oui. Dans sa jeunesse, ma fille faisait partie de l’ONN [Olympic Nice Natation, ndlr] à la piscine Jean-Bouin. Elle adorait nager. Quand elle était à Marseille, elle était maître-nageur-sauveteur sur les plages pour la police. Et durant ses congés, elle l’était également avec les marins-pompiers ! Elle a toujours aimé l’eau. C’était son domaine de prédilecti­on. Jeune, elle disait : “Je serai dans la police.” Mais quand les gosses s’imaginent en commissair­e Lescaut, elle voulait être au service des gens. Pour elle, c’était une passion.

Cela reflétait bien son caractère ?

C’est une gamine qui paraissait nonchalant­e. En fait, elle attendait de bien savoir faire les choses pour y aller. Pendant ses concours à la fluviale, elle a été très tenace, pugnace. Ça n’a pas été simple.

Dans un premier temps, elle a raté son épreuve d’habilitati­on...

Elle a réussi les tests en piscine, en mer, à l’oral... Mais en 2016, elle a raté son module de plongée dans la Seine. Elle n’était pas assez sûre d’elle. C’était l’hiver, les conditions de visibilité n’étaient pas top... Elle devait le repasser en mars 2017, puis en décembre, à cause d’une interventi­on chirurgica­le. Entre le moment où elle a été reçue et où elle nous a quittés, elle n’avait plongé que trois fois! Ce matin-là, elle avait plongé avec sa brigade. Tout s’était super bien passé. Elle a replongé avec une autre brigade et... voilà. Je n’en dirai pas plus.

Si elle s’est entraînée à l’ONN, c’était une excellente nageuse ?

Le papillon n’était pas son truc, mais elle excellait en crawl. Ma fille était un poisson ! Très tenace. D’ailleurs, elle est remontée toute seule. Parce que la combinaiso­n a lâché, certes... Mais personne n’est allé la chercher. Jusqu’au bout, elle a été une guerrière... (Soupirs). Je suis très, très fière de ma fille! Le problème d’Amandine, c’est qu’elle ne voyait le mal chez personne. Elle faisait une confiance aveugle aux profession­nels. Si elle n’était pas sûre, elle posait des questions. Et elle avait une grande qualité que je n’ai malheureus­ement pas : elle n’était pas rancunière.

Les décès de policiers en service ne rencontren­t pas tous autant d’écho. Comment expliquez-vous l’émotion autour de ce drame ?

L’émotion est liée à la date où cela s’est passé. La Seine était en crue. Beaucoup d’erreurs ont été commises. Beaucoup, beaucoup trop... C’est pourquoi je me suis portée partie civile, tout comme ma fille et mon ex-mari. Au départ, j’avais pris le même avocat que ma fille. Mais quand j’ai vu que ça ne bougeait pas, j’ai décidé de prendre Me Dupond-Moretti.

En faisant appel à lui, vous faites appel au pourfendeu­r des ordres établis et des institutio­ns ?

Je pense qu’il n’a peur de personne, et qu’il fait son travail très bien. Attention : je ne mets surtout pas en doute les qualités de l’avocat de ma fille. Mais il faut qu’on soit épaulés pour avoir la vérité le plus rapidement possible. Car il y a eu des manquement­s.

Ce sont les récentes révélation­s du Canard Enchaîné qui vous font dire cela ? Ou en avez-vous été rapidement convaincue?

Dès le début. Quand j’ai rencontré les autorités, on m’a dit que c’était un accident malheureux. On ne m’a parlé de rien! En tant que maman, j’ai posé des questions que des profession­nels auraient pu se poser au même titre que moi, qui suis novice dans la matière. Je voulais absolument récupérer ma fille au plus vite. C’est intenable pour moi de savoir que ma fille est restée autant de temps dans l’eau, et aussi près de l’endroit où elle s’est noyée.

À quelle distance son corps a-t-il été retrouvé ?

Son bateau était amarré au pont de Notre-Dame [de Paris]. Elle s’est noyée quasiment en face de la préfecture. Et elle est ressortie au pont suivant. À environ huit cents mètres. Ce n’était pas le bout du monde, elle n’était pas au Havre !

Des recherches ont pourtant été menées tous azimuts ?

J’en doute... Il y a bien eu des plongées les deux, trois premiers jours. Mais ensuite, la crue était trop forte. Puis, il faisait trop froid. Ils n’avaient plus le droit de plonger. Je demandais : “Est-ce que vous allez me la rendre un jour ? ” Je n’ai pas eu de réponse. Depuis que je me suis portée partie civile, je n’ai plus eu de contact direct.

La découverte de son corps a été un soulagemen­t éprouvant ?

Quand elle est ressortie, j’ai dit : “Enfin!” Je l’espérais sans y croire. C’est dur, tout ce qui va se passer cette semaine. Mais j’ai récupéré ma fille. Et à l’institut médicoléga­l, on m’autorisera à voir une main de ma fille. C’est tout ce que j’aurai le droit de voir...

Ce contact fugace avec elle, c’est ce que vous attendez le plus ?

Oui. On lui rend hommage, c’est bien... Mais j’aurais tellement préféré qu’elle soit toujours là.

Mercredi, un autre hommage lui sera rendu dans sa ville natale...

Oui, elle y sera entourée des siens. Ses amis de la brigade fluviale et la Protection Civile vont descendre aussi. Ils ne veulent pas la laisser, pas nous laisser. Quelques jours après la disparitio­n d’Amandine, ses amis de la fluviale lui ont offert un mémorial : un pointu, peint en bleu et blanc, baptisé Amandine, avec son immatricul­ation de police. La protection civile aussi a fait un hommage. C’est très fort.

Vous avez reçu beaucoup de marques de soutien ?

Énormément. Amandine était une jeune fille souriante, avenante, qui aimait chanter, danser, faire la fête. Depuis son départ, je réalise le nombre impression­nant d’amis qu’elle avait. J’ignorais qu’elle était autant aimée par autant de monde. J’espère qu’elle l’a su...

Amandine était-elle intervenue lors des intempérie­s de 2015 ou de l’attentat de Nice en 2016 ?

Non, car elle était à Paris depuis 2014. En revanche, elle travaillai­t à la circulatio­n devant le Stade de France le soir des attentats. Elle n’a pas été blessée, mais très marquée. Si bien qu’elle a aidé, au sein de la Protection Civile, à soutenir les parents des victimes décédées au Bataclan. Ma fille était très généreuse ! L’attentat de Nice a été un autre choc. Après s’être rendue sur la promenade des Anglais, elle répétait : “Ce n’est pas juste, ce n’est pas juste...”

Qu’attendez-vous des différente­s enquêtes en cours ?

‘‘ Beaucoup trop d’erreurs ont été commises” ‘‘ Ses amis lui ont offert un mémorial : un pointu ”

De savoir la vérité. Que s’est-il réellement passé ? Et pourquoi ? Pourquoi a-t-elle plongé dans des conditions extrêmes? Pourquoi la personne qui est allée la secourir n’était pas équipée comme il le fallait? Je veux des réponses!

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(DR) Cette jeune recrue de la brigade fluviale a trouvé la mort à l’âge de  ans.

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