Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Les quatre vérités de Gilles Jacob sur le Festival de Cannes
L’ancien délégué général puis président, qui vient de publier son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, commente sans langue de bois l’évolution de la manifestation, qui s’ouvre aujourd’hui
Récemment évincé du conseil d’administration du Festival de Cannes (à l’issue d’un vote) mais toujours président d’honneur de la manifestation, Gilles Jacob vient de publier son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes (édition Plon). Un ouvrage particulièrement riche en portraits et anecdotes, dans lequel l’auteur, incarnation du Festival durant plus de quarante ans (en tant que critique, puis délégué général, et enfin président), évoque aussi les coulisses du plus grand festival de cinéma au monde. Invité des déjeuners Cannes Radio/Nice-Matin, Gilles Jacob parle aussi des sujets qui fâchent, sans aucune animosité, mais n’hésite pas à dire ses quatre vérités sur le Festival de Cannes. Quitte à aller à l’encontre de ses actuels décisionnaires, le délégué général Thierry Frémaux et le président Pierre Lescure.
1 Prix des chambres d’hôtel : « Ne pas tuer la poule aux oeufs d’or »
«Cannes reste toujours largement en tête, mais il faut qu’il fasse attention, parce que les concurrents ne restent pas les mains dans les poches, ils travaillent beaucoup et se rapprochent. Le problème de Cannes, c’est d’abord de résoudre ses propres problèmes, notamment le coût des chambres d’hôtel durant la quinzaine. Ce n’est pas normal que le prix varie autant entre le hors saison et la saison, et il faut faire attention de ne pas tuer la poule aux oeufs d’or », prévient Gilles Jacob. « Le décalage des dates, avec la fin du festival dès le samedi au lieu du dimanche, provoque aussi des difficultés, notamment pour les professionnels du marché du film. »
2 Toronto et Venise: « Une grave menace »
Il revient aussi sur l’absence de Xavier Dolan et Jacques Audiard en sélection officielle, pourtant des habitués primés de la Croisette, dont les nouveaux films sont très attendus. Mais dont les productions misent davantage sur les Festivals de Venise ou Toronto, notamment en vue de la course aux Oscars hollywoodiens : « Le film d’Audiard [Les Frères Sisters, avec Joaquin Phoenix et Jacky Gyllenhaal, Ndlr] était fait pour Cannes, un western avec de très grands acteurs, on l’attendait vraiment. Dolan [Ma vie avec John F. Donovan, Ndlr], lui, a eu un problème de montage et a dû couper les passages avec Jessica Chastaing, mais sa production dit clairement préférer l’axe Toronto-Venise, mis en avant cette année. C’est un grand écueil pour Cannes, qui va devoir faire un énorme travail de conviction dans les années à venir pour reprendre le dessus, si le festival ne veut pas se priver de tous les grands films américains. C’est une grave menace. »
3 Suppression des projections de presse : « On en reviendra »
La direction du Festival a supprimé cette année les projections de presse le matin avant la projection officielle du soir. « À Cannes, il faut faire la meilleure sélection possible, mais aussi traiter la presse du mieux du monde, notamment la presse écrite quotidienne, car Cannes est aussi un festival des médias, il ne faut jamais l’oublier », rappelle Gilles Jacob, ancien journaliste critique de L’Express. « La suppression des projections de presse avant la projection officielle est une décision récente, sur laquelle on reviendra l’année prochaine ou une suivante, à mon avis. On ne peut pas se passer de la presse, qui est à la fois un contre-pouvoir, mais aussi un intermédiaire nécessaire entre le grand public et les artistes. Si vous n’avez pas les critiques de cinéma pour expliquer aux gens l’évolution du 7e art par tel ou tel auteur, le public se contentera d’aimer toujours les mêmes choses. Les journalistes n’ont pas été toujours tendres avec moi ni avec le festival ; ça peut agacer, mais quand j’ai été attaqué par la presse, je me suis toujours demandé ce qu’il y avait de vrai dans la critique. »
4 Interdiction des selfies : « Que les acteurs ou réalisateurs n’en fassent pas non plus »
La direction du Festival a également décidé d’interdire les selfies lors de la montée des marches, sauf pour les équipes des films. «Si on décide qu’on ne veut pas de selfie, il faut que les acteurs ou réalisateurs n’en fassent pas non plus ! On ne va pas commencer à faire des chouchous sur les marches. C’est vrai que généralement, les selfies sont assez laids, distordus, avec un angle qui ne va pas, ce ne sont pas les plus belles photos du monde. Mais bon, que les gens photographient furtivement la foule… à condition de ne pas gêner le flux, car la montée des marches doit s’effectuer en 45 minutes, il faut un certain rythme, mais ce n’est généralement que dans les dernières dix minutes que les stars du film apparaissent. Alors, on verra bien comment ça se passe sur le tapis, mais il ya à craindre que si on sort ma nu milita ri ceux qui font des selfies, des gens vont vouloir faire des photos de ces scènes-là aussi, et ce sera pire ! »
5 Délégué général : « Le festival a les moyens de se payer un directeur à plein temps »
À propos du travail et de la longévité du délégué général du Festival : « C’est vrai qu’il peut y avoir une usure, une fatigue, mais en réalité, le travail de préparation du Festival n’est très dur que six mois par an, et surtout de février à mai. Après, est-ce qu’il faut faire plusieurs métiers à la fois ? [Thierry Frémaux, l’actuel délégué général, est également directeur de l’institut Lumières à Lyon, Ndlr] Je ne le crois pas. » « Je pense d’ailleurs que le Festival de Cannes a les moyens de se payer un directeur à plein temps », estime encore Gilles Jacob, qui a passé vingt-trois ans à ce poste, avant d’être président jusqu’en 2014. « Bien sûr, il n’y a pas d’obligation à passer la main, car le délégué général a un contrat de salarié. À Venise, le directeur change tous les quatre ans, par contrat renouvelable une fois ou deux. Je ne suis pas hostile à cette formule qui consisterait à changer tous les huit à dix ans, ça amènerait du sang neuf, pourquoi pas ? »