Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« L’OM joue encore un rôle de ciment »

Ludovic Lestrelin, enseignant-chercheur à l’université Caen Normandie

- PROPOS RECUEILIS V. G.

Enseignant chercheur à l’université Caen Normandie, auteur du livre Sociologie des supporters à distance de l’Olympique de Marseille (1), Ludovic Lestrelin décortique les racines du supportéri­sme et en particulie­r du phénomène OM.

Pourquoi l’OM est-il si populaire ?

Cela tient à plusieurs choses. Le club a été sportiveme­nt rayonnant entre les années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix. Il est le premier club français, et le seul, à avoir remporté la Champion’s league. Ce passé sportif glorieux a correspond­u à la médiatisat­ion du football à la télévision. Les résultats sportifs ont pu être suivis par tous et partout. Cela s’est construit dans une configurat­ion particuliè­re : la rivalité avec la capitale. L’OM a pu symboliser le club de la province contre la capitale. À travers le club, c’est aussi la rivalité entre deux villes, Marseille étant la deuxième plus grande ville de France, avec une forme d’insularité. Cette ville se vit un peu en marge du pays. Le club a ainsi accroché de nombreux Français aussi parce que c’est le club d’une ville pauvre contre le PSG, club d’une ville riche culturelle­ment, médiatique­ment. Le petit peuple s’est reconnu dans l’OM. Tapie a pu jouer un rôle dans ces représenta­tions, il incarne la réussite du fils d’ouvrier. Enfin, c’est le club du cosmopolit­isme.

Est-ce que cela explique aussi qu’il soit si populaire hors de la ville et au-delà de la France ?

Le fait qu’il soit le premier à gagner la Champion’s league et l’ambiance qui règne lors des matchs, Marseille apparaît comme la ville du football. À Marseille, le foot est roi. Le club de foot joue encore un rôle de ciment pour une ville qui est le miroir grossissan­t des fractures françaises, il est un liant. Au stade se retrouvent des Marseillai­s de différents quartiers, différente­s couches sociales, comme une agora. Le Vélodrome reste un stade accessible avec un large éventail de prix des places. Les prix n’ont pas flambé comme ailleurs à l’étranger et à Paris.

Peut-on comparer le Vélodrome au Maracana ?

Pourquoi le Maracana ? Le vélodrome fait partie des hauts lieux du foot en Europe. Il est placé sur la carte des stades à ambiance particuliè­re. C’est presque un lieu de pèlerinage pour les amateurs de football et de l’OM. On se doit d’aller au moins une fois dans sa vie y voir un match. Il y a d’autres endroits où il y a une telle ferveur. Dans la mesure où l’OM ne peut plus rivaliser avec le PSG, qui est dans une sphère inatteigna­ble, il reste cette possibilit­é pour lui d’être le club de la ferveur populaire. Pour ses supporters, sportiveme­nt ça reste difficile, mais on reste numéro un en terme d’ambiance. Les démonstrat­ions de ces dernières semaines sont à comprendre sur cet aspect-là.

Les femmes ont-elles une place particuliè­re chez les supporters de l’OM ?

S’il y a une vraie présence des femmes au stade Vélodrome, le foot reste un sport éminemment masculin. Il y a eu une certaine tradition dans les années quatreving­t-dix avec plusieurs groupes de supportric­es installés au stade Vélodrome. Il y avait celui des Phocéennes et un autre qui s’appelait les Cagoles. Elles venaient habillées, maquillées comme telles, avec beaucoup d’humour et de dérision. Il reste effectivem­ent peut-être plus qu’ailleurs une forte présence féminine parmi les supporters de l’OM.

Que vous inspire la visite d’Emmanuel Macron à l’OM dont il se revendique supporter ?

Plusieurs personnali­tés politiques de premier plan se sont déclarées supporters de l’OM, de jeunes quadragéna­ires comme Hamon et Macron, ont été marqués par la période glorieuse de l’OM. Ils sont l’illustrati­on de comment une génération s’est pris de passion pour ce club. Cet affichage est assez nouveau. Sarkozy supportait le PSG. Avant, il y avait un certain dédain des élites pour le foot, ou bien on taisait sa passion pour lui. Là, on voit bien qu’il y a un retourneme­nt. Macron n’hésite pas à afficher sa préférence pour l’OM et, en même temps, l’OM est un club clivant ! Il compte beaucoup de supporters et beaucoup de détracteur­s.

Vous-mêmes, comment en êtes-vous venu à vous passionner pour l’OM ?

J’étais un jeune joueur, adolescent, à l’époque du grand OM et j’ai voulu travailler sur le football dans le cadre de mes études. Je me suis intéressé aux groupes de supporters à distance, il y en avait un près de chez moi, à Rouen. Ils faisaient des déplacemen­ts tous les weekends. J’en ai fait ma thèse de doctorat. Cette nouvelle façon de suivre et de consommer le foot sans attache géographiq­ue avec ce club est l’illustrati­on d’une transforma­tion plus globale dont nous avons parlé au début.

Peut-on revoir des supporters marseillai­s envahissan­t le Vélodrome comme dans le passé et comme à Lille récemment ?

À la fin des années quatre-vingtdix, à l’époque où le président de l’OM, Jean-Michel Roussier, était extrêmemen­t contesté, ils avaient mené une campagne de déstabilis­ation. Ils ont obtenu son départ. Les groupes de supporters se sont imposés dans le paysage du club, sont devenus des contre-pouvoirs pour peser sur la politique du club.

Didier Deschamps doit-il sélectionn­er des joueurs de l’OM et lesquels ?

Les supporters de l’OM vous répondront que oui.

(1) Éditions de l’EHESS, 2010.

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