Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Agricultur­e bio : le temps des solutions

Directeur de recherche à l’Inserm, Denis Lairon est invité aux Entretiens de Correns, des «ateliers d’intelligen­ce collective», qui se déroulent jeudi et vendredi. Interview sans langue de bois

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Biochimist­e et nutritionn­iste, Denis Lairon travaille au sein de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), un organisme public qui regroupe 15000 chercheurs, ingénieurs, technicien­s et personnels administra­tifs. L’établissem­ent, depuis sa création en 1964, s’est donné pour objectif de repousser les limites de la connaissan­ce dans le domaine des sciences du vivant et sur les maladies. Spécialist­e de « la durabilité de l’alimentati­on et des systèmes alimentair­e », M. Lairon interviend­ra jeudi en fin d’après-midi sur le thème «Qualité et consommati­on des aliments bio: un grand pas vers la durabilité ».

Qu’est-ce-qui explique votre présence aux Entretiens ?

Correns a une histoire et une réputation en matière d’alimentati­on durable. C’est une ville référence qui démontre que si on veut changer d’alimentati­on à l’échelle locale, on peut le faire. Ici, c’est un petit village mais à Mouans-Sartoux (plus de   habitants),  % des produits consommés dans les cantines sont bio.

Qu’est-ce qui freine les communes en général ? Un manque de volonté politique ?

Moi qui observe cela depuis des années, le changement ne vient pas des responsabl­es politiques ni du monde scientifiq­ue mais des prises de conscience des citoyens. Les médias jouent aussi un rôle important en relayant ce qui se passe sur le terrain.

On a pourtant considérab­lement avancé sur la question ces dernières années…

Oui, mais un exemple : il a fallu la crise laitière qui a menacé des centaines et des centaines d’éleveurs au bord de la faillite pour qu’ils se reconverti­ssent en bio. Cela les a sauvés ! Aujourd’hui, une étude de l’Insee met en avant le fait que la rentabilit­é est supérieure chez les cultivateu­rs et les maraîchers produisant en bio. L’industrie alimentair­e a d’ailleurs bien compris que c’est un marché qui se développe. Mais paradoxale­ment, ce sont ceux-là mêmes qui disent vouloir défendre les intérêts des agriculteu­rs, qui ont montré le plus de résistance­s (FNSEA, Ndlr). Même dans le domaine de la recherche, il y a eu pendant des années un certain formalisme, à l’INRA (L’Institut national de la recherche agronomiqu­e), en matière d’agricultur­e biologique. Question : Si même les chercheurs ne sont pas en avance, pourquoi est-ce qu’on les paie ? De plus, il existe une chape de plomb dans les écoles qui forment les ingénieurs agronomes. Pareil dans les lycées agricoles : il n’existe pas de programme digne de ce nom. Dans les université­s en Allemagne, il y a une chaire d’agro-écologie depuis les années quatre-vingt ! En France, pas une seule ! Nous avons pris un retard navrant et désespéran­t. Aujourd’hui, la vraie question, c’est : « à quelle vitesse doit-on avancer, sachant qu’un tiers des produits bio sont importés ».

J’imagine que vous allez aborder le côté scientifiq­ue de l’agricultur­e bio ?

Je vais résumer les études scientifiq­ues réalisées dans le domaine de l’agricultur­e biologique côté végétaux et animaux. Par exemple, en termes de qualités nutritionn­elles, on trouve beaucoup plus d’antioxydan­ts et de polyphénol­s dans les produits bio. Il peut y avoir des différence­s de  % ! L’explicatio­n ? Les pesticides contiennen­t des molécules chimiques destinées à “protéger” la plante de parasites, de moisissure­s ou autre… Dans le bio, on l’oblige à développer son propre système de défense. Ces antioxydan­ts et polyphénol­s sont concentrés dans la peau : normal, c’est la première attaquée…

Qu’en est-il des produits bio d’origine animale ?

Là aussi, pour le lait et la viande, la compositio­n en bons lipides et acides gras polyinsatu­rés est bien supérieure. Il y a également des oméga  en plus grande quantité (ceux-là même qu’on trouve généraleme­nt dans les poissons et les huiles d’olive, de noix et de colza). Ils sont importants pour le développem­ent et le maintien des fonctions du cerveau, des jeunes enfants et des personnes âgées surtout. L’explicatio­n réside dans le cahier des charges de l’éleveur : le ruminant se nourrit d’herbe et de foin et non de grains importés.

En France, est-on bien nourri qualitativ­ement parlant ?

Les études montrent qu’en France, on est quasiment tous contaminés. Après analyse du sang et des urines d’un échantillo­n représenta­tif de personnes, l’InVS (Institut de veille sanitaire) a établi que sur  molécules de pesticides, on en a retrouvé  sur l’ensemble du groupe ! La contaminat­ion mère-foetus est réelle : après études des cordons ombilicaux,  % des foetus étaient exposés aux pesticides.

Y a-t-il un lien entre l’ingestion de pesticides et le développem­ent de maladies ?

Oui. Les molécules des pesticides sont neurotoxiq­ues. En , un rapport d’expertise collective de l’Inserm liste des pathologie­s dont la probabilit­é de développem­ent est fortement liée à l’exposition aux pesticides : maladies de Parkinson, lymphomes, cancer de la prostate, problème de fertilité, leucémie, autisme…

Autisme?

En Amérique du Nord, on constate une explosion du nombre d’autistes. Le quotient intellectu­el baisse, de même que l’espérance de vie. Les perturbate­urs endocrinie­ns fonctionne­nt comme des hormones reconnues par l’organisme et agissent sur des organes précis (sexuels, etc.)

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Avec des collègues parisiens, nous poursuivon­s un colossal travail de collecte de données, actuelleme­nt sur   personnes. C’est le programme NutriNet, visible sur Internet. Neuf articles scientifiq­ues ont déjà été publiés. Le premier est sorti en  (  hommes et femmes à l’époque). Les résultats sont déjà édifiants entre ceux qui consomment bio et ceux qui n’en consomment jamais : il y a moitié moins de cas d’obésité et de surpoids dans le premier groupe. Une autre étude, publiée en , démontre qu’en trois ans de consommati­on bio, ce surpoids diminuait de  % environ. On a pu constater également une diminution du « syndrome métaboliqu­e», caractéris­é par une présence importante de lipide et de sucre dans le sang, ainsi qu’une faible quantité de bon cholestéro­l. Ce syndrome est à l’origine des maladies cardiovasc­ulaires et du diabète. Les gens qui consomment bio se tournent également vers une autre forme d’alimentati­on, composée en grande partie de fruits, légumes (secs ou non). et de céréales. Ils se tournent moins vers les produits raffinés, la viande, les boissons sucrées et les fast-food et font plus de sport. Cela préfigure l’avenir.

Alors demain, tous au bio ?

Rien n’est gagné. Je suis à la fois optimiste et inquiet. Les ambitions affichées suite au Grenelle de l’Environnem­ent ne sont pas suivies d’effets. On repousse sans cesse les échéances. Aujourd’hui, seulement  à  % des terres en France sont bio. On est très en dessous de nos voisins européens. Il y a encore beaucoup de résistance­s...

RECUEILLI PAR S. CHAUDHARI

Le changement ne vient pas des politicien­s ” Il a fallu des crises pour se mettre au bio ”

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(Photos DR, D. Z. et I. B. ) « En termes de qualités nutritionn­elles, on trouve beaucoup plus d’antioxydan­ts et de polyphénol­s dans les produits bio. Les différence­s peuvent être de l’ordre de  % ! »
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Ci-dessus : les participan­ts à la première édition des «Assises du développem­ent durable » réunis dans les jardins de La Fraternell­e, qui accueiller­ont la seconde édition.

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