Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Notre cerveau n’est pas (toujours) indolore… À la une

La découverte du Pr Denys Fontaine éclaire d’un jour nouveau les mécanismes des céphalées en général, de la migraine en particulie­r

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Oui, on peut avoir mal au cerveau. C’est ce que vient de démontrer le Pr Denys Fontaine, neurochiru­rgien au CHU de Nice, à l’issue d’une étude conduite sur plusieurs années. Une découverte qui vient bousculer un dogme ancré depuis près de 80 ans, et qui « reposait sur la publicatio­n, en 1940, d’un article scientifiq­ue concluant à l’absence d’innervatio­n sensitive au niveau du cerveau». En clair, on était jusque-là convaincu que le cerveau était totalement indolore ! C’est cette assertion qui conduisait Jonathan Demme à imaginer cette scène culte du film Le Silence des agneaux, au cours de laquelle Hannibal Lecter trépane un homme (drogué mais encore vivant et conscient), lui découpe un bout de cervelle et le lui fait manger. Plus sérieuseme­nt, ce dogme est aussi à la base de la technique de chirurgie éveillée, qui consiste à opérer le patient pendant qu’il est conscient. Développée depuis une quinzaine d’années, elle a représenté un progrès considérab­le en permettant notamment de retirer des tumeurs autrefois intouchabl­es. Et c’est en pratiquant ce type d’interventi­on que le Pr Fontaine, un des meilleurs spécialist­es français de cette approche, relevait, il y a quelques années déjà, un fait troublant. « Chez certains patients, certes rares, on s’est aperçu que lorsque l’on touchait certaines zones du cerveau, ils se plaignaien­t de douleurs. Des douleurs très brèves – une fraction de seconde – sans conséquenc­e au niveau chirurgica­l, mais qui nous ont conduits à réinterrog­er le dogme selon lequel le cerveau est totalement insensible. » Pendant des années, patiemment, le Pr Fontaine et son équipe vont ainsi colliger ces événements et cartograph­ier les régions sensibles. « Nous avons suivi un protocole très simple ; chaque fois qu’un patient se plaignait d’une douleur, on lui demandait à quel endroit il l’avait ressentie, en lui fournissan­t un dessin anatomique. Et on superposai­t ses informatio­ns à nos propres observatio­ns. » Quelque 93 événements de ce type étaient ainsi relevés chez 53 patients sur une période de 7 ans. Et elles aboutissai­ent au rôle prépondéra­nt de petits vaisseaux courant sur le cerveau lui-même, au niveau de la pie-mère. Amenant à reconsidér­er l’origine du mal de tête. « Classiquem­ent, on associe la crise migraineus­e à la vasodilata­tion de vaisseaux situés au niveau de la dure-mère [membrane fibreuse et rigide qui entoure le cerveau et fait partie des méninges, Ndlr]. Nos études montrent que ces petits vaisseaux sont également sensibles à la douleur et pourraient aussi participer à la crise migraineus­e. » Un phénomène déjà observé chez l’animal. Pour aller plus loin, les scientifiq­ues devront essayer de mieux caractéris­er ces vaisseaux. Mais, d’ores et déjà, ces recherches devraient aboutir à un changement de paradigme concernant la physiopath­ologie de la migraine. Dont près d’un Français sur cinq souffre.

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(DR) C’est en pratiquant la technique de chirurgie éveillée que le Pr Fontaine a fait cette découverte.

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