Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Les goinfres
« Délirant », « inadmissible », « indécent », « scandaleux »… Georges Plassat, cidevant PDG de Carrefour, peut se vanter d’avoir suscité un moment d’unité nationale comme la France en a peu connu depuis la finale de . Une même vague d’indignation a parcouru le pays, des Insoumis au Rassemblement national, et jusque dans les couloirs du Medef. Il est vrai que les conditions de son départ à la retraite en juillet dernier ( millions € au total en salaires fixes et variables, revenus différés des exercices antérieurs, prime de départ, actions gratuites et autres jetons de présence, auxquels s’ajoute une retraite-maison à vie de plus de € par an), alors que le groupe s’apprête à supprimer emplois et fermer magasins, franchissent les limites admises de l’obscénité. « Greed is good » (la cupidité est bonne), professait le héros du film Wall Street. Version brève et tranchante d’une idée déjà énoncée au début du XVIIIe par le satiriste néerlandais Mandeville : « Soyez aussi avides et égoïstes que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». De fait, la quête du profit et le désir d’enrichissement constituent en économie libérale le plus puissant des moteurs de croissance. Comme l’écrira le grand Adam Smith, «ce n’est pas de la bienveillance du boucher ou du boulanger que nous attendons notre dîner mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur intérêt ». Mais une idée juste portée à son extrémité devient folle. A un certain degré de cynisme et d’iniquité, greed is bad. Very bad. Vient un moment – nous y sommes en plein – où la goinfrerie de certains grands patrons n’est plus tolérable ni tolérée. Elle ruine l’idée d’entreprise conçue comme une collectivité. Elle légitime les rancoeurs et entretient la défiance. Elle sape les bases de l’économie et au-delà, abîme le pacte démocratique. On se demande souvent pourquoi la France est le pays le plus rétif à l’économie de marché ; pourquoi l’anticapitalisme radical et le populisme anti-élites y prospèrent ; pourquoi le sentiment d’injustice y est si vif, alors que nous sommes les champions des aides sociales. Ne cherchez pas plus loin.
« Vient un moment où la goinfrerie de certains grands patrons n’est plus tolérable».