Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Elle cède sa collection entière de métiers à tisser

Installée dans le village depuis des dizaines d’années, Danièle Raimbault-Saerens a exposé ses tapisserie­s dans le monde entier. En fin de carrière, elle cherche à donner une seconde vie à ses métiers à tisser

- MATTHIEU BESCOND mbescond@nicematin.fr

Àpresque 83 ans, Danièle Raimbault-Saerens est un sacré bout de femme. Installée à Lorgues depuis près de 50 ans, l’artiste a mené sa vie tambour battant. Un parcours hors norme, tapissé de création en tout genre. À commencer par des oeuvres d’envergure. « Il faut être un peu zinzin pour faire ce que j’ai fait », confie-t-elle. Son credo ? La tapisserie. Tout au long de sa carrière, elle a amassé des métiers à tisser de tout type. Une dizaine. Des objets qui lui sont chers et qu’elle cherche aujourd’hui à donner. Sous certaines conditions (lire ci-contre).

Le Paris d’après-guerre

L’âme d’artiste, on l’a ou on ne l’a pas. Pour Danièle, tout commence par le dessin. « J’ai toujours voulu dessiner, peindre, créer. Tout et n’importe quoi. En faire mon métier. Je ne peux pas dire d’où ça vient. C’est quelque chose qu’on a en soi et qui veut sortir d’une manière ou d’une autre. Je voulais apprendre. » Elle a 10 ans quand elle débarque à Paris. « Avant ça, nous habitions dans le Nord, dans la banlieue lilloise. Quand mes parents ont eu l’opportunit­é de devenir gérants d’un hôtel dans la capitale, ils l’ont fait. » Elle met les pieds dans une ville qu’elle ne connaît pas. Un monde à part. « Nous habitions dans le quartier Latin. À côté de la Sorbonne. De la librairie Gibert. J’étais émerveillé­e. J’ouvrais grand les yeux, écarquillé­s. J’étais toujours partie pour voir une chose ou une autre. Le dimanche, j’étais censée aller à la messe, mais en fait, j’en profitais pour faire un tour à Notre Dame pour observer Paris. C’était la découverte d’un nouveau monde pour moi. » À l’époque, la jeune Danièle n’a jamais mis les pieds dans un musée. « Le premier que j’ai visité, c’était le musée national du Moyen-Âge de l’hôtel de Cluny. Juste en face de la Sorbonne. C’est là que j’ai pu voir la grande tapisserie dite de “La dame à la licorne ”. » Pour elle, c’est la révélation. Le déclic. L’étincelle. « Quand je l’ai vu, j’avais une dizaine d’années. J’ai été ébahie. Je me suis dit : “Un jour, je ferai quelque chose d’aussi grand ”. » Nous sommes en 1947. L’effervesce­nce était de mise à Paris. « Après la guerre, les musées rouvraient. Il y avait une vraie explosion culturelle. Le quartier Latin bouillonna­it. Ça rigolait, ça dansait, ça chantait... C’était quelque chose, c’était vivant ! »

Du dessin à la tapisserie

Elle se lance dans des études de dessin, « envers et contre tous. Car ça ne faisait pas le bonheur de mes parents. » Et franchit la barrière érigée : « Quand j’étais encore à l’école, je travaillai­s chez moi le soir, une fois mes parents au lit. Je faisais des maquettes de papier peint à la gouache. Et j’allais voir les fabricants de l’époque pour leur proposer mes projets. J’ai commencé comme ça. » Reste que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. « Quand j’ai eu 16 ans, le jour de mon anniversai­re, mon père m’a dit au petit-déjeuner : “Bon, ça fait 16 ans que je te nourris, ça suffit. ” Il me l’a dit une fois, pas deux. Je suis revenue le soir, et j’avais un travail. À l’époque, on en trouvait... J’ai acheté un journal, parcouru les petites annonces et je suis devenue décoratric­e pour jouets de bébé. Mes parents me prenaient mon salaire intégralem­ent. C’était comme ça jusqu’à ce que je me marie, à 23 ans. J’avais tout juste de quoi acheter des tickets de métro pour aller bosser. Ce n’était pas facile. La vie d’artiste ne l’a jamais été, pour personne. »

Le fil de la passion

Au-delà de la peinture, Danièle voue une véritable passion pour les métiers à tisser. « Ce que je voulais plus que tout, c’était m’exprimer avec la laine, des fils. Ca vient peut-être de mes origines nordistes où j’ai vu beaucoup de filatures et de bobines. » Mais le vrai déclic vient d’une rencontre. « Quand je me suis mariée, j’habitais un atelier artistique à Montmartre. Il faisait 22 m2... J’ai commencé à vraiment vouloir m’exprimer avec des fils quand j’ai vu à l’étage du dessous une jeune Suédoise qui faisait du tissage pour la mode. J’allais l’aider à monter les chaînes sur les métiers à tisser. J’ai appris en la regardant faire. Ça me fascinait. Et j’ai décidé de me lancer dans la tapisserie. » À Montmartre, son mari lui installe un métier de haute lisse (1). « C’est-à-dire qu’au lieu de tisser avec les pieds et des pédales, on est assis sur un siège indépendan­t, et on fait tout à la main. On tire sur les lisses pour inverser les fils et pouvoir passer les navettes. » C’était parti.

Vers l’architectu­re

« Je voulais travailler pour l’architectu­re. Je voulais créer de grandes pièces. En tapisserie comme en mosaïque. Parce que j’ai fait les deux. » Et là encore, elle obtient gain de cause. « Des architecte­s ont repéré mon travail au Grand Palais. Notamment Xavier Arsène-Henry (2). On m’a demandé de faire une première tapisserie. Une tenture, avec un tissu beaucoup plus lâche que la tapisserie classique. Elle a été installée entre le sol du 26e et le 27e étage de la tour Aquitaine à la Défense (actuelle tour Blanche, NDLR) .» Mais pour la créer, il lui fallait un autre métier à tisser. Elle en acquiert un de trois mètres. Il lui faut du coup un atelier plus grand. «Au Grand Palais, j’avais rencontré un artiste qui habitait près de Lorgues. Je me suis dit : “Pourquoi ne pas m’installer par ici ?”. » Elle s’installe à Lorgues en 1967. Dans une maison en ruine rénovée d’abord, place de l’Eglise. Puis dans un ancien garage automobile. « Il avait brûlé et était resté à l’abandon pendant près de 10 ans. Il y avait encore des carcasses de voitures les unes sur les autres, le plancher était tombé, c’était hallucinan­t. J’y ai installé mon atelier

Après guerre, il y avait une vraie explosion culturelle ”

depuis. C’est là que j’ai travaillé jusqu’à ce que je ne le puisse plus avec mes problèmes de vue, il y a une bonne dizaine d’années. » Tout au long de sa carrière, elle s’est bâtie une belle renommée. « Si je n’ai jamais pratiqué le circuit des galeries, je me suis surtout fait un nom dans les biennales internatio­nales. » Elle a créé des oeuvres pour Knoll internatio­nal, les pétroles d’Aquitaine, les BNP de Marseille, Cannes, Nice, Lyon-Part-dieu, La direction de l’équipement à Nîmes… Et produit de nombreuses exposition­s de Paris à Munich, du Canada à la Belgique, et plus particuliè­rement dans le sud de la France. Chapeau bas, l’artiste ! 1. Les lisses sont ces fils de coton qui permettent de tirer ou de baisser les fils de chaine sur un métier. 2. Architecte et urbaniste français. Militant du mouvement moderne, il a contribué à l’industrial­isation du bâtiment et à la politique des grands ensembles.

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(Photos Dylan Meiffret) À bientôt  ans, Danièle RaimbaultS­aerens a mené une belle carrière artistique, en créant notamment des tapisserie­s monumental­es.
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Des tapisserie­s monumental­es sont exposées dans son atelier.

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