Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Delphine,  ans : «Je serai toujours cette petite fille née entre quatre murs»

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« J’ai repeint les murs de la cellule de ma mère en trompe l’oeil pour pouvoir m’en évader. J’ai beau les pousser pour agrandir mon espace, je serai toujours cette petite fille née entre quatre murs. » Delphine est née au centre pénitentia­ire pour femmes de Rennes, il y a 43 ans. De ses premières heures de vie, de son berceau derrière les barreaux, on ne lui a longtemps rien dit. Son premier souvenir, c’est Marseille. Le soleil, la mer. « Une famille d’accueil aimante. » Et puis, ce jour où sa mère est sortie de prison. « J’avais six ans. Elle avait un droit de visite d’une journée. Elle a frappé à la porte. Je ne me souvenais plus de son visage mais je l’ai reconnue avec le coeur. C’était ma mère. Le soir, elle ne m’a pas ramenée… »

« Je n’ai plus jamais revu ma mère »

Delphine est entraînée loin du soleil, à Rouen. Une cité de béton sans la mer. Une HLM après la taule où sa mère vit avec sa compagne, rencontrée en détention. « Une femme violente », se souvient Delphine. La petite fille qui rêvait des bras d’une mère reçoit des coups. Il y a les tentatives de suicide à répétition de sa mère, la peur, les pleurs, la faim, les bleus et puis les ombres. « À 8 ans, épuisée par cette vie que je ne comprenais pas, j’ai appelé la police. Le juge m’a placée chez mes grands-parents, raconte Delphine. Ils sont venus en train. Sur le quai, j’ai dit au revoir à maman comme si j’allais la retrouver le lendemain. C’était en juillet 1983. Je ne l’ai plus jamais revue… » Les grands-parents de Delphine habitent dans le Var, « une belle maison, un grand jardin » et des frères et soeurs qu’elle rencontre pour la première fois. «On ne manquait de rien sauf de l’essentiel : l’amour. » Rejetée par la fratrie, elle grandit là, « ado dure et rebelle, vilain petit canard de la fratrie » qui envie « la jolie vie de famille de (ses) copines ». Des quatre enfants, Delphine est celle qui ressemble le plus à celle qui lui a donné la vie. Trop. Une ressemblan­ce comme une gifle pour ses grands-parents qui avaient renié ce visage. « Ils me disaient: “Tu vas finir comme ta mère !” sans m’en dire davantage. À part ces allusions, il était interdit de parler d’elle. Mes grands-parents ne sont jamais allés la voir en prison, ne lui ont jamais écrit une lettre. Ils avaient coupé tous les ponts, tous les liens. » Les années passent. Des années à porter cette faute jamais vraiment dite, cette tache. A tenter de comprendre.

« Ma mère est sortie de prison, mais la prison n’est jamais sortie d’elle »

« Je ne me sentais pas bien. Je faisais des cauchemars : je me réveillais la nuit en croyant que j’avais tué quelqu’un et qu’on me mettait en prison… Au lycée, j’allais voir en douce une psy pendant les heures de perm’. J’avais repris les dates, refait les calculs, je sentais qu’il y avait un truc qui ne tournait pas rond. Je l’ai suppliée de me montrer mon dossier. Le choc. J’étais née à la prison de Rennes. Enfin, je savais… » Et Delphine a commencé à rassembler des fragments. « Une lettre que ma mère a envoyée à mon père où elle écrivait, le jour où on m’a enlevée à elle : “Je sais que Delphine m’est perdue” .» Des réponses partielles. Et toujours des questions. « J’ai interrogé mes grands-parents. Mon grand-père était muré dans le silence. Ma grand-mère m’a dit que mes parents étaient des fainéants et qu’ils avaient braqué une banque. Je n’ai jamais vraiment su… Elle m’a montré un article de presse qui racontait que mes parents avaient pris la fuite en laissant mes frères et soeurs de 2, 3 et 4 ans dans une chambre d’hôtel. » Réécrire son histoire. Petits bouts par petits bouts. Sa mère enceinte en cavale. L’arrestatio­n le ventre rond. Son père, cet inconnu, incarcéré à Caen, paternité sans suite. Sa naissance et surtout sa mère… Delphine a repris contact avec elle quand sa première fille est née. Elle lui a envoyé une photo. « Quand ma fille m’a dit “maman”, ce mot qui était pour les autres avant, j’ai eu envie d’appeler la mienne. » Aujourd’hui, Delphine a trois enfants. « Je leur ai raconté mon histoire, avec ses trous. A la question du pédiatre : “Vous, vous avez marché à quel âge ?” Pas de réponse. Quel est le premier mot que j’ai dit ? Je ne sais pas, je ne sais rien de ma vie. » Delphine n’a jamais revu sa mère. Cette mère pourtant sortie de prison depuis longtemps. Comme si la vitre du parloir les séparait toujours. Comme si elles n’avaient pas vraiment recouvré la liberté d’être mère et fille. « On se parle tous les jours au téléphone. Ma mère est sortie de prison mais la prison n’est jamais sortie d’elle. Elle m’a demandé pardon et j’ai pardonné. Un jour, elle m’a raconté que lorsque les surveillan­ts sont venus me prendre dans sa cellule, ils ont dû s’y mettre à trois pour m’arracher à ses bras. C’était là : la déclaratio­n d’amour maternel que j’avais tellement attendue. » Quarante-trois ans après, Delphine qui a été aumônière à la maison d’arrêt de Nice, est encore hantée par une question : « Qu’est-ce qui est le plus dur ? D’apprendre à marcher en prison ou d’être condamnée à vivre sans sa mère ? »

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Delphine est née ilyaans à la prison pour femmes de Rennes.
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