Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Jean Viard : « On n’a jamais été aussi libre depuis les années  »

Sociologue, directeur de recherche associé au Cevipof-CNRS et auteur de nombreux ouvrages, Jean Viard sera l’un des invités phares du Festival du livre de Mouans-Sartoux du 5 au 7 octobre

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

Créateur des Editions de L’Aube, maison invitée d’honneur du 31 e Festival du livre de Mouans-Sartoux, Jean Viard se définit, lui-même, comme « un chef d’entreprise, un intello qui publie un livre tous les deux ans et un élu », auquel on doit notamment la réhabilita­tion, depuis 2015, du vieux port de Marseille en tant que coeur symbolique de la ville. Par le prisme d’Une société si vivante, son dernier ouvrage, cet observateu­r de longue date se penche sur « une humanité faisant terre commune », « un monde changeant tellement vite que l’on se croit perdu », en cherchant un fil, de nouveaux liens. Un regard perçant, original et porteur d’espoir.

Que représente pour vous le Festival de Mouans-Sartoux ?

C’est le plus beau festival du livre de la Côte d’Azur. Avec ce côté village gaulois, Mouans-Sartoux refusant Ikea ou achetant une ferme pour nourrir les écoliers... Ce sont des innovateur­s écoloratio­nnels qui s’appuient sur le modèle culturel qu’est ce festival. Un festival qui est aussi un grand lieu de débat. Avec des personnali­tés de premier plan comme Edgar Morin, Maïssa Bey, ou Dupond-Moretti.

Le thème de cette édition,

A nous, à nous la liberté ,aété justement inspiré par Edgar Morin. Cela vous inspire quoi ?

Edgar est mon vieux maître, j’ai fait ma thèse avec lui. C’est l’un des plus grands intellectu­els du siècle, qui, à la fois, pense le monde depuis soixante-dix ans, tout en défendant sa liberté d’individu. Mouans-Sartoux lui va bien, lui qui a toujours été du côté des minorités.

Et cette notion de liberté ?

On est dans une période de montée des populismes partout, car on a construit, depuis les années , une société autour de l’individu. Un individu mobile, qui change de partenaire profession­nel, sexuel. On n’a jamais été aussi libre, on n’a jamais eu un tel sentiment de bonheur individuel. Mais les gens sont tellement libres, justement, qu’ils n’appartienn­ent plus à des groupes, sont perdus. Comment refaire communauté autrement que par le nationalis­me ou par le religieux, c’est ce qui est intéressan­t à explorer.

Après Chronique française, récit politique du dernier quart de siècle, en forme de tentative d’explicatio­n du succès d’Emmanuel Macron, vous publiez Une société si vivante...

C’était un seul livre au départ. Puis j’ai réuni, dans le dernier, des textes assez courts, qui chacun éclairent un aspect de notre société. Une société si vivante ,un titre justifié au regard de ces chiffres :  % des premiers nés naissent hors mariage, contre  ou  % en . Ce lien fondateur s’est dissout sans même que l’on s’en rende compte, sans interventi­on ! De l’autre côté,  milliards d’individus connectés à Internet, plus que n’importe quelle religion, aucune n’ayant jamais dépassé le milliard et demi de croyants ! Et ce paradoxe : % des gens se disent heureux, mais désespérés à  % pour l’avenir de la France ! On n’a jamais eu si bien, à titre individuel, la main sur nos vies, mais en commun on n’a jamais si mal su où on allait. Le propos de mon livre est d’éclairer ces bouleverse­ments.

Pour les jeunes, pour qui devenir adulte prend davantage de temps selon vous dans un monde plus complexe, vous préconisez un revenu universel...

Un revenu universel pour les jeunes ”

Quand j’étais jeune sociologue on me disait, c’est quoi un adulte? Un adulte, c’est quelqu’un qui sait se reproduire et gagner sa vie. Et aujourd’hui cette situationl­à, le premier enfant, pour une femme, c’est  ans et deux mois, et le CDI on l’obtient en moyenne vers - ans, donc on est adulte autour de  ans. Et comme cela prend dix ans, il y a un moment où l’argent devrait aller, non plus aux parents, mais aux enfants, en mettant ce revenu, ce filet de sécurité, en lien avec un projet : passer un an à faire le tour du monde, travailler, apprendre une langue étrangère, peu importe que chacun prenne un chemin différent. Ce projet peut être visiter la France, aussi. Je rêverais d’un ministre de la Culture qui dise être français ce n’est pas avoir lu des livres, être allé à l’opéra, c’est avoir vu le mont Blanc, la Bastille, connaître la Côte d’Azur, pouvoir comparer sa lumière à celle de la Bretagne, c’est charnel. Une telle pensée politique de la jeunesse serait passionnan­te et offrirait des chances à toutes les jeunesses.

S’agissant des femmes, vous rappelez qu’elles constituen­t  % des pauvres...

Il y a deux façons de considérer la question des femmes. La première, c’est de dire en  une femme sur deux était salariée, aujourd’hui elles le sont à  %. Et considérer que cette évolution gigantesqu­e est une bonne nouvelle, même si on n’est pas encore au but. L’autre constat est que les pays qui ne font pas travailler les femmes sont en train de s’enfoncer dans la pauvreté. Dans la course à la créativité des cerveaux du monde, ceux où les femmes contribuen­t à la création de richesses vont deux fois plus vite que les autres. La question n’est donc pas seulement celle du bonheur des femmes et de leurs droits à l’égalité des statuts, c’est aussi une affaire de concurrenc­e mondiale ! On ne le dit pas assez.

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(Photo Virginie Jullion)

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