Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Oncologues en colère

Actu La connaissan­ce avance, de nouvelles associatio­ns de molécules améliorent le pronostic des cancers les plus graves, mais elles ne peuvent être utilisées, pour un problème de coût

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

C’en est trop pour le Dr Jérôme Barrière, oncologue médical à la polycliniq­ue Saint-Jean (Cagnes-sur-Mer) et Praticien attaché au Centre Antoine Lacassagne (Nice). À l’instar de ses confrères, il se retrouve aujourd’hui dans une situation aussi ubuesque que tragique. Alors que les avancées thérapeuti­ques au bénéfice des cancers les plus graves n’ont jamais été aussi importante­s, ces spécialist­es sont confrontés à l’impossibil­ité parfois d’en faire bénéficier leurs patients. «Que dois-je faire? Mentir? Garder secrets ces progrès? Accepter de voir partir quelqu’un que l’on pourrait soigner ? » Les questions posées par l’oncologue sont volontaire­ment brutales. Elles veulent réveiller les conscience­s de tous. Celles des laboratoir­es pharmaceut­iques qui proposent des molécules à des prix insensés: jusqu’à 100000 euros et plus par patient et pas an. Celles des pouvoirs publics invités à se confronter à leurs responsabi­lités, à la nécessité de faire des choix. Celles des citoyens aussi, parties prenantes de ce qui se joue, et qui ont leur mot à dire. Interview du Dr Barrière.

Vous revenez de l’ESMO (1), grand messe de la cancérolog­ie (  spécialist­es réunis) avec des nouvelles plutôt optimistes.

L’actualité est en effet riche en résultats positifs, notamment pour les cancers du rein, du sein et des ovaires. Aujourd’hui, on se dirige de plus en plus vers l’associatio­n de l’immunothér­apie et de traitement­s plus classiques ayant précédemme­nt montré leur efficacité : chimiothér­apies et thérapies ciblées. Ce type d’associatio­n véhicule des espoirs nouveaux avec une efficacité accrue et une bonne tolérance. L’immunothér­apie seule, dans laquelle on avait placé beaucoup d’espoirs, semble insuffisan­te dans beaucoup de cas (cancer du sein, du poumon…).

Quels types de cancer sont concernés en particulie­r par ces évolutions ?

L’un des cancers pour lequel les résultats sont les plus impression­nants est le cancer du sein dit triple négatif, réputé de très mauvais pronostic. Des essais ont montré qu’en associant une immunothér­apie (atezoluzum­ab) et une chimiothér­apie standard (nabpaclita­xel) - comparé à la seule chimiothér­apie on obtient un gain significat­if de durée de vie : plus d’une femme sur  est en vie  ans après le diagnostic de métastases. C’est du jamais vu pour ce type de cancers !

Ces progrès ne pourront peutêtre pas profiter aux malades en France dites-vous ?

Le prix à payer pour ces progrès est en effet considérab­le. Les coûts des traitement­s explosent et compromett­ent dès aujourd’hui leur utilisatio­n à large échelle. Un exemple : Pour les cancers triple négatif auxquels j’ai fait référence, la chimiothér­apie utilisée en associatio­n n’est pas remboursée par la sécurité sociale. Et il va falloir du temps, des mois, pour obtenir ce remboursem­ent. Cette problémati­que retarde la mise en place de ces associatio­ns, alors que les molécules sont déjà disponible­s en soin courant. Pour les malades, c’est une vraie perte de chance thérapeuti­que.

Pour les cancers de l’ovaire, c’est le sujet des tests compagnons qui revient sur le tapis. Rappelons qu’il s’agit de tests permettant entre autres de distinguer les groupes de patients chez lesquels le médicament sera efficace ou non.

On a découvert en effet qu’un cinquième des femmes atteintes par un cancer de l’ovaire avancé présente une mutation particuliè­re sur le gène appelé BRCA. Cela représente environ   femmes chaque année en France. Si l’on traite ces patientes par une thérapie ciblée orale pendant  ans, le risque de rechutes est fortement réduit. Les études montrent qu’à trois ans,  % des femmes traitées ne récidivent pas, contre  % dans le groupe de femmes ayant pris le placebo. Ces thérapies orales ont un coût énorme,   euros pour  ans de traitement. Mais ce n’est pas, pour ce cancer, le principal problème puisque le traitement est remboursé. Il se situe plutôt dans la nécessité de réaliser chez toutes les femmes opérées pour un cancer de l’ovaire une recherche de mutation sur le gène BRCA (dans les tissus ovariens) qui coûte près de  euros facturés aujourd’hui aux établissem­ents de santé. Le laboratoir­e qui commercial­ise la thérapie ciblée – à des prix exorbitant­s – refuse en effet de prendre en charge ce coût. Et c’est l’établissem­ent qui l’assume. Mais jusqu’à quand ?

Que souhaitez-vous aujourd’hui ?

Que l’on réagisse. Et vite. Les sommes que l’on doit investir dans le traitement du cancer permettrai­ent dès demain de sauver des vies ou au moins de les prolonger nettement, et dans de bonnes conditions. Il est inacceptab­le que ce, contre quoi les plans cancer successifs ont souhaité lutter ne devienne la règle : l’inégalité des chances. Avec des patients qui vivent au bon endroit ou qui ont les moyens d’aller se faire soigner à l’étranger, à leur frais. Et les autres.

Une vraie perte de chance thérapeuti­que Dr Jérôme Barrière Onologue médical

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(Photo F.F.) Les études les plus récentes ont mis en évidence l’efficacité de l’associatio­n de molécules (immunothér­apie et chimiothér­apies : thérapies ciblées) contre les cancers les plus graves
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