Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Ces indépendan­tistes qui vont voter contre l’indépendan­ce

- A NOUMÉA BERNARD LE PELLANK/ALP

« La Calédonie est un petit pays qui a besoin d’un grand frère. Ce grand frère, c’est la France […] On l’a adopté, c’est notre école, c’est notre langue commune. » Ce message, répété sur plusieurs antennes en début d’année 2018, a provoqué un séisme dans les états-majors indépendan­tistes de Nouvelle-Calédonie. Son auteur, Elie Poigoune, s’est empressé de préciser que, par respect pour l’engagement de toute une vie, il voterait « oui » à l’indépendan­ce. Tout en espérant que le « non » l’emportera. De nombreux Kanaks semblent prêts à suivre le même chemin, comme en attestent trois sondages récents, qui viennent en quelques mois de prédire 65 à 70 % de votes en faveur du « non » à l’indépendan­ce, alors que les Mélanésien­s sont majoritair­es sur la liste électorale du référendum. Mais au fait, qui est Elie Poigoune ? Un homme aujourd’hui âgé, de 74 ans, né en 1945, quand les Kanaks n’étaient pas encore des citoyens français mais des sujets indigènes de cette colonie de la France australe. Dans la génération Poigoune, les seuls Kanaks à pouvoir espérer approcher du bac étaient fils de dignitaire­s ou repérés par des missionnai­res. C’est ainsi que le jeune Elie se retrouva, étudiant parisien d’abord, prof de maths ensuite. Cofondateu­r du Palika (Parti de Libération Kanak), il a tâté de la prison pendant quelques semaines pour avoir proféré des propos anticoloni­alistes. C’était au début des années 1970. Près de cinquante ans après, l’approche de celui qui est devenu président de la Ligue des droits de l’homme en Calédonie est toujours porté par les mêmes sentiments, mais plus par le même raisonneme­nt. Et c’est le cas de nombreux membres de sa communauté.

Le pays n’était pas prêt

Pourquoi ce positionne­ment ? D’abord, parce que les Kanaks n’ont jamais été 100 % indépendan­tistes. En 1958, ils étaient majoritair­es sur la liste électorale, et en Calédonie, le référendum de ratificati­on de la V° République valait aussi scrutin d’autodéterm­ination. Le jour du vote, le maintien dans la France a été archi-majoritair­e. Les grands chefs de l’époque estimaient que le pays n’était pas prêt. Aujourd’hui, il l’est, affirment les leaders indépendan­tistes. Depuis les Accords de Matignon inspirés par Michel Rocard il y a trente ans, une vaste entreprise de rééquilibr­age a été menée en faveur des régions rurales, les moins développée­s, et à majorité kanake. Routes, hôpitaux, collèges, activités économique­s, eau potable (pas encore partout) ont transformé le paysage de ces régions. Le découpage institutio­nnel fait que les Kanaks se gouvernent eux-mêmes dans deux provinces sur trois, où ils sont majoritair­es. Peu à peu, les choses s’améliorent donc.

Le poids de la métropole

Mais qu’en serait-il si la tutelle, la défense et la contributi­on financière française s’en allaient ? En cas de divorce avec la France, et sans ces 15 % de PIB qu’elle apporte en transferts financiers, en salaires et aides diverses, qu’en sera-t-il de la médecine, aujourd’hui gratuite pour les faibles revenus ? Qu’en sera-t-il du minimum vieillesse, béquille de milliers de personnes âgées qui ont vécu de cultures vivrières, à l’écart de tout système monétaire. Qu’en sera-t-il des bourses d’études permettant à des enfants dont les parents n’ont rien ou presque, de partir étudier en France, au Canada ou à Fidji ? Toutes ces questions, les Kanaks sont les premiers à se les poser.

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(Ph. Julien Cinier) Le « non » est donné gagnant par trois sondages récents.

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