Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Nos années 30
Bien sûr, l’histoire ne repasse pas les plats. Bien sûr, si l’antisémitisme – l’antisémitisme brun, « à l’ancienne » – n’a pas disparu, comme la tuerie de Pittsburgh vient de le rappeler cruellement, il n’est plus cette obsession pathologique qui hantait le monde de ces années-là. Bien sûr, la vague de nationalisme, ou de national-populisme, qui balaie l’Europe et l’ensemble du monde démocratique se nourrit bien davantage des peurs et frustrations nées de la mondialisation que de vieilles rivalités impériales ou de haines de voisinage. L’Allemagne et la France sont amies. L’Europe n’est pas au bord de la guerre. Ni le monde à la veille d’un embrasement généralisé. Bref, c’est entendu : nous ne sommes pas dans les années . Personne ne l’a jamais prétendu. Mais comment nier les ressemblances (ressemblances, pas similitudes !) entre le moment que nous vivons et cet entredeux-guerres qui vit se naufrager l’espoir d’un monde meilleur, fondé sur le respect du droit et l’entente entre les Nations. « Dans toutes les nations ou presque se manifestent les mêmes phénomènes de forte et brusque irritabilité malgré une grande lassitude morale, un manque d’optimisme, une méfiance prête à s’éveiller en toute occasion, et la nervosité, l’humeur chagrine qui résulte du sentiment d’insécurité. […] On ajoute foi aux mauvaise nouvelles plus facilement qu’à celles qui rendent espoir, et les individus autant que les Etats, plus qu’à d’autres époques du passé, semblent prêts à se haïr. » Extraites d’une conférence intitulée La Désintoxication morale de l’Europe, ces lignes d’une prophétique lucidité sont de l’écrivain autrichien Stefan Zweig, suicidé en . Elles datent de . Elles semblent avoir été écrites hier. Oui, il flotte dans l’air que nous respirons de désagréables relents des années . Il ne suffit pas qu’Emmanuel Macron, après d’autres, en fasse la constatation pour qu’elle devienne fausse. Il faut être aveugle aux mouvements de l’histoire, ou aveuglé par l’antimacronisme, pour ne pas voir que dans un contexte certes différent, de semblables forces sont à l’oeuvre : nostalgie d’un passé idéalisé, peur des lendemains, désordres économiques, montée des égoïsmes, tentation du repli. Jamais, depuis l’après-guerre, l’idée même d’ordre mondial n’a été aussi malmenée. Appartient-elle déjà au « monde d’hier », comme disait Zweig ? L’Europe est brexitée. L’Amérique de Trump renie tous ses engagements internationaux et s’emploie à démolir un à un les fragiles piliers de la gouvernance mondiale. A Moscou, à Pékin, à Delhi, à Londres, à Rome comme à Varsovie ou à Budapest, les nationalistes font la loi. Impatientes et inquiètes, les opinions publiques se détournent des forces politiques traditionnelles au profit des démagogues et des extrémistes. La parole publique est discréditée, les élites décriées, la presse dénigrée. La démocratie même est menacée de dégagisme. Voilà que le Brésil se choisit pour président un nostalgique de la dictature militaire. Et que quatre Français sur dix se disent favorables à ce que « la direction du pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire ». N’avons-nous donc rien appris des années ?