Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

S. Royal : «Aucun homme n’a été traité de cochon fou»

La finaliste de la présidenti­elle 2007 se livre sur la violence de la politique pour les femmes. Elle revient sur ses défis, plus mobilisée que jamais pour la parité et une écologie positive

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Plusieurs fois ministre, dont deux fois de l’Environnem­ent, finaliste de la présidenti­elle 2007, présidente de Poitou-Charentes, députée, Ségolène Royal n’exerce plus, aujourd’hui, aucun mandat électif. L’occasion pour elle de se livrer sans retenue dans Ce que je peux enfin vous dire Elle y assène ses vérités de femme qui s’est souvent vécue comme une «intruse» dans un monde politique encore très machiste, où peu de chausse-trapes, publiques comme personnell­es, lui ont été épargnées.

Deux femmes ont été présentes au tour des trois dernières présidenti­elles. Elles ont fait leur place en politique…

La parité, c’est vrai, a progressé, mais il existe toujours un plafond de verre pour les femmes. Notre seule Première ministre, Edith Cresson, a reçu un tombereau d’injures qu’aucun homme n’aurait subi. La loi sur la parité a fait avancer les choses, mais le pouvoir est encore tenu par des hommes, que ce soit à l’Elysée, à Matignon, aux présidence­s des assemblées, à la tête des grandes institutio­ns ou dans les ministères régaliens. A l’échelon des  pays européens, on ne trouve qu’Angela Merkel. Et à l’échelle de la planète, sur  chefs d’Etat, il n’y a que  femmes. L’humanité est faite de masculin et de féminin. L’équilibre d’une société se bâtit sur les deux. Mais comme le féminin a été exclu et le pouvoir monopolisé par les hommes, il n’est pas surprenant que les deux défis primordiau­x à relever soient la déshumanis­ation et le déracineme­nt.

La politique ne réserve-t-elle pas la même dureté aux hommes qu’aux femmes, quand on voit ce qu’ont enduré Nicolas Sarkozy et François Hollande ?

Ils n’ont jamais été critiqués sur leur identité d’homme. Alors que, comme je le raconte, je fus insultée jusqu’à la mise en cause de mon intelligen­ce et même de ma santé mentale. Dès qu’une femme fait quelque chose qui n’est pas dans la norme masculine, elle est considérée comme instable ou incontrôla­ble. On m’a traitée de « vache folle » en public. Aucun homme n’a été traité de « cochon fou ». En plus, les femmes n’osent rien dire, par peur d’être taxées de manquer d’humour ou de ne pas tenir leurs nerfs. C’est vrai aussi dans le monde du travail. Mais je rends hommage dans mon livre aux hommes qui ont découvert avec le mouvement Me Too le continent caché des femmes frottées dans les transports, insultées dans la rue, harcelées au travail, et qui disent qu’eux aussi ne veulent plus de ça pour leurs compagnes ou leurs filles. Nous avons absolument besoin que les hommes parlent quand ces comporteme­nts restent impunis.

On l’avait ressenti, vous le confirmez sans ambiguïté : les éléphants socialiste­s n’ont rien fait pour vous aider en . Les attaques les plus violentes sont venues de votre camp…

C’est vrai. Je décris les faits, sans amertume, après m’être tue pendant des années. Le dixième des attaques que j’ai subies aurait été prononcé contre un homme qu’il y aurait eu des sanctions dans le parti. D’autant que c’étaient des attaques contre une candidate démocratiq­uement désignée par les militants. Comme me l’a dit un jour Nicolas Sarkozy, mes adversaire­s n’ont eu qu’à reprendre les attaques de ceux qui étaient considérés comme mes soutiens. Ils ne supportaie­nt pas qu’une femme qui avait des idées neuves puisse accéder à la fonction suprême, dont ils se sentaient propriétai­res. Mais je cite aussi les formidable­s soutiens masculins que j’ai eus.

Plus que d’être une femme, n’avez-vous pas payé une certaine raideur et le fait de vous écarter des canons de l’orthodoxie socialiste ?

Bien sûr. Mais les idées neuves étaient aussi les idées des gens, puisque j’avais engagé une démarche participat­ive à travers les Cahiers de l’espérance et leurs   avis. Je voyais bien que les citoyens avaient envie d’ordre et de justice, c’est pour cela que j’ai porté le concept d’ordre juste, envie de fraternité également. J’avais pris le temps d’être au corps à corps avec l’opinion et je n’avais pas le sentiment d’être iconoclast­e avec la théorie traditionn­elle du PS. J’ai, sans doute, sous-estimé la hargne que cela suscitait en interne.

La supériorit­é des femmes sur les hommes en politique, c’est l’intelligen­ce émotionnel­le ?

Ce n’est pas une supériorit­é, c’est une différence. Se priver d’une moitié de l’humanité, c’est se priver de discerneme­nt, de réponses, de solutions. Il y a chez les femmes une pulsion de vie. On le voit dans les pays pauvres où les femmes sont les premières à flairer le danger du réchauffem­ent climatique car les premières à faire vingt kilomètres de plus pour aller chercher de l’eau. Si on leur faisait davantage confiance, on trouverait plus de solutions.

Vous racontez un épisode surréalist­e, qu’il a lui-même reconnu : en , Michel Rocard, quelques jours avant le dépôt de votre candidatur­e, vient vous demander de lui céder la place…

Je suis tombée des nues. Comment pouvait-on faire preuve d’un tel aveuglemen­t sexiste ? Je lui ai demandé si je devais dire que j’étais tellement nulle que j’avais décidé de renoncer… D’une certaine façon, cela rejoint les choses très dures qu’a écrites sur moi un autre ancien Premier ministre [Lionel Jospin, ndlr] . Ce qui est extravagan­t, c’est que j’ai plus d’expérience que ces deux hommes. Aucun n’a été élu quatre fois député dans une circonscri­ption rurale, aucun n’a été autant de fois ministre, président de Région et sept ans dans une équipe présidenti­elle. Plus mère de quatre enfants, donc en permanence au contact de la vie quotidienn­e. Mais ils me percevaien­t comme une créature venue d’ailleurs. On voit bien là les mécanismes du sexisme : je suis une femme, donc inférieure.

Ministre de l’Environnem­ent, vous avez dû avaler pas mal de couleuvres et d’arbitrages défavorabl­es, comme Nicolas Hulot après vous…

Mais j’ai tenu bon, en refusant de cautionner des décisions contraires à la protection de l’environnem­ent. Et il y a eu, d’autre part, beaucoup d’avancées, la loi sur la transition énergétiqu­e, la COP , etc. Si je décris les crises écologique­s, c’est pour montrer que lorsque la loi du silence est levée, le rapport de forces change et engendre des mobilisati­ons. Il ne faut jamais régresser et il faut s’inscrire dans le combat de ses prédécesse­urs, ce qui n’a pas été fait, hélas ! pour le glyphosate, les permis miniers donnés à Total, l’importatio­n d’huile de palme. Il y a des reculs depuis mon départ. Or, il ne faut rien lâcher. On peut perdre des batailles sans perdre la guerre.

Vous regrettez d’ailleurs que Nicolas Hulot ait sous-estimé sa marge de manoeuvre…

Oui, il aurait pu rester et continuer à se bagarrer. Mais l’écart était tel entre les discours et les actes que je peux comprendre qu’il ait préféré partir.

Vous défendez une écologie qui ne soit ni triste ni punitive. Ce n’est pas tout à fait le sentiment des Français actuelleme­nt…

Il n’est pas acceptable d’instrument­aliser l’écologie pour faire des impôts. Je regrette que Nicolas Hulot ait cautionné cela. Si les gens n’ont pas la possibilit­é d’agir autrement, on ne peut pas leur taper dessus et leur coller des taxes. On ne demanderai­t que ça, d’avoir des voitures propres. Encore faudrait-il avoir les moyens de les acheter. On peut mettre des taxes quand il y a une possibilit­é de faire autrement, par exemple la taxe pollueur-payeur pour les industriel­s, mais le consommate­ur qui ne dispose pas du libre choix est piégé. On a besoin de positif. Au lieu de partir en impôt, le pouvoir d’achat serait mieux utilisé dans des actions d’économie d’énergie.

Vous dénoncez une désinvoltu­re lors des derniers quinquenna­ts, un exercice trop solitaire du pouvoir et une volonté de réformer à tout prix qui devient parfois contre-productive…

Sur le quinquenna­t précédent, il faut avoir la lucidité et le courage de voir ce qui n’a pas marché. De ce que j’ai vu de l’intérieur, la loi Travail a jeté le pays dans un désordre inutile et la fusion des régions à marche forcée a été une désolation, qui a bloqué des projets et déraciné des gens dans leur identité. On aurait pu imaginer des collaborat­ions sans fondre les identités. Pendant deux ans, il ne s’est plus passé grand-chose au niveau des projets, parce que les contingenc­es administra­tives ont pris le dessus. Les fusions à marche forcée, il faut y réfléchir à deux fois. Mieux vaut partir de projets en construisa­nt des coopératio­ns entre collectivi­tés, plutôt que de passer tout le monde sous la toise et à la serpe avec des menaces de sanctions budgétaire­s.

Emmanuel Macron vous a déçu ?

L’important n’est pas mon ressenti personnel. Ce n’est un secret pour personne qu’il y a aujourd’hui un décalage entre ce qui était attendu et ce qui est fait. Mais je ne parie jamais sur l’échec des gens. On peut toujours rectifier les choses, prendre acte du mécontente­ment et procéder autrement, et je souhaite sincèremen­t que ça aille mieux.

Je n’ai pas envie de reprendre des coups »

Vous ne parlez pas de votre avenir politique. Mais vos quatre enfants sont grands, vous êtes donc plus libre que jamais ?

Je n’ai jamais arrêté mon engagement politique, qui prend aujourd’hui d’autres formes, notamment d’être ambassadri­ce pour les Pôles. Maintenant, est-ce que j’ai envie de retourner dans des processus électoraux ? Au vu de la violence que je décris, de la médiocrité des attaques tous azimuts, je ne sais pas. A ce stade, je n’ai pas envie de reprendre des coups. Je regarde, j’écoute ceux qui me solliciten­t et je verrai ce que j’ai envie de faire en début d’année. 1. Editions Fayard, 295 pages, 22 euros.

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(Photo M. Rosensthie­l) «Le pouvoir a été monopolisé par les hommes.»

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