Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Disquaires indés VS majors:

Quand un des anciens musiciens de Johnny n’arrive pas à se procurer le dernier disque du rocker,

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J’ai travaillé plus de 20 ans avec Johnny. Et je ne peux pas trouver son dernier disque vinyle à Draguignan ! Dingue ! » Jean Costa a été chef d’orchestre et arrangeur pour Johnny Hallyday dans les années 70 (lire encadré). Quand il s’est rendu chez le disquaire indépendan­t Cosmic Trip à Draguignan, pour acquérir le dernier opus de l’idole des jeunes, le gérant Thierry Arnaud, lui a expliqué qu’il ne l’avait pas en vente. Et qu’il ne l’aurait pas. Par choix. Par conviction. Une fois les raisons évoquées, le musicien ne pouvait qu’approuver. « Je prends partie pour les disquaires indépendan­ts. Thierry pourra peut-être l’avoir, une fois que d’autres auront bien fait leur carton... » Explicatio­ns.

Des attaques répétées

Si l’album de Johnny, Mon pays c’est l’amour, n’est pas disponible chez Cosmic Trip, c’est une décision mûrement réfléchie, « face aux attaques répétées des majors

et des grands revendeurs », explique Thierry. Et de pointer du doigt une plaquette éditée par le disquaire messin La Face Cachée, en collaborat­ion avec le Club action des labels indépendan­ts français (Calif). « Elle résume tout. » Celle-ci évoque la tentative de « mise à sac » des disquaires indépendan­ts par les majors et les grandes enseignes de vente. Ceci en privilégia­nt l’avènement du CD au détriment des disques vinyles dans le milieu des années quatre-vingt. Mais aussi «en commençant une guerre sur le prix du CD qui a fait disparaîtr­e 80 % des disquaires indés, au début des années 90 », peut-on lire dans ledit fascicule. Or, le label de Johnny, c’est Warner. Et comme pour Sony ou Universal, le disquaire refuse d’ouvrir un compte chez ces mastodonte­s de l’industrie musicale. Par choix donc. « Parce que les majors ont toujours tout fait pour couler les disquaires indépendan­ts. Parce que je ne veux pas dépendre d’eux et conserver mon indépendan­ce. » Alors lorsqu’il reçoit des commandes de clients pour des artistes signés chez ces labels, il passe par un grossiste indépendan­t. « C’est une question d’éthique. Les majors nous font trop de mal. » Pour lui, après avoir profité du CD, ces labels et groupes de distributi­ons vampirisen­t désormais le marché du disque vinyle. « À l’époque, les principaux vendeurs de CD, c’était les grandes surfaces, Fnac et autres Virgin. Les majors leur ont dit : “Le vinyle, ça prend trop de place, maintenant, on passe au CD, la qualité est meilleure”. Ils ont fait du “vinyle bashing”. Aujourd’hui, on est passé au “CD bashing”. Le vinyle est redevenu au top, alors qu’il y a 20 ans, il fallait tous les jeter… Tous ça, ce n’est qu’une histoire de gros sous… » Pour soutenir la filière impactée, le Calif sera créé en 2002, avec le soutien du ministère de la Culture (lire encadré). Ceci avant que le marché du CD ne s’écroule. Que le vinyle ne revienne sur le devant de la scène. Et que tout le monde sente le filon, en appliquant les mêmes stratégies commercial­es qu’auparavant. Et Thierry d’ajouter : « Entre 2011 et 2016, je me suis dit qu’il y avait peut-être un espoir pour nous avec le vinyle. Avant que le marché ne soit inondé. Maintenant, il est trusté par Internet et les grands enseignes. Ils ont senti la manne financière. » Pour tenter de sortir la tête de l’eau tant bien que mal, le Calif a notamment mis en place le « Disquaire Day », depuis plusieurs années maintenant. Une opération qui vise à sortir une série de disques uniquement chez les disquaires indépendan­ts. « Ceci avec une exclusivit­é de trois mois. » Mais là encore, la guerre commercial­e fait rage. « Les grandes enseignes de vente voient forcément l’événement d’un mauvais oeil. Elles font pression sur les majors. J’ai peur qu’un jour ils arrivent à le faire capoter. Il suffit que Warner ou Sony disent : “On ne sort rien s’il n’est pas distribué aussi à la Fnac, et c’est terminé.” » Remonté, Thierry enfonce un peu plus le clou. « Il faut savoir qu’Amazon, par exemple, bénéficie de remise de 20 à 25 % chez ces labels. Moi je n’en ai aucune. Et puis des enseignes comme la Fnac font office de dépôt. C’est-à-dire qu’ils ne réalisent pas d’avance sur les disques. Ils ne les payent qu’après, une fois vendus… » Pour expliquer le rapport de force, Thierry le résume ainsi : « Amazon peut se permettre de vendre à prix coûtant. Pas les disquaires indés. Eux ont un volume de vente énorme. C’est un peu David contre Goliath. »

Un avenir sombre

Autant dire que face à ces titans, Cosmic Trip ne joue pas dans la même cour. « À l’heure actuelle, qui fait le marché ? C’est Amazon sur Internet. Le meilleur disquaire de France ? C’est E. Leclerc. Devant la Fnac et Cultura. Ce sont eux qui contrôlent tout. Les disquaires indépendan­ts sont laissés de côté. Les majors ne s’intéressen­t pas à nous. » Seuls les gros labels indépendan­ts comme Pias soutiennen­t ces magasins de proximités, en proposant notamment des éditions spécifique­s pour les disquaires indépendan­ts. «Ils font un geste pour nous, même si je ne suis pas certain que ce genre d’opération ait une portée énorme. » Grâce à la création de structures comme le Calif ou, plus récemment, du syndicat Gredin, groupement des disquaires indépendan­ts français, quelques lignes bougent. « Le ministère de la Culture a par exemple réalisé récemment une vaste étude sur notre activité (voir infographi­es), détaille Thierry. Et c’est la première fois. On peut penser que ce n’est que de la paperasse. Mais le simple fait que l’État découvre qu’il y avait 3 000 disquaires dans les années soixante-dix contre 334 aujourd’hui, c’est déjà ça… » Autre avancée, avec le projet de création d’un portail Internet, lancé par le Gredin, qui regroupera les disquaires indépendan­ts. « Il y a des choses qui se mettent en place. Mais il faut se structurer davantage. L’union fait la force. » Reste que pour Thierry, l’avenir des disquaires indépendan­ts est sombre. « Dans quelques années, il en restera sans doute quelques-uns dans les grandes villes. Mais à mon avis, pour nous, c’est la fin... » 1. Les majors sont les principaux labels de l’industrie musicale : Universal, Sony, Warner...

Cosmic Trip - 43, rue de l’Observance à Draguignan. Tel. : 04.94.68.35.50.

Il y avait   disquaires en France dans les années , il en reste  ”

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Thierry Arnaud, gérant du disquaire indépendan­t Cosmic Trip, au côté du musicien dracénois Jean Costa. Au premier plan, une brochure qui dénonce la « mise à sac » des disquaires indépendan­ts par les majors et les grandes enseignes.

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