Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Est-ce qu’ici, c’est encore Toulon ?»

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», dit-il de l’un des jeunes grièvement blessé. Il incline sa tête sur le côté, dans sa main. Puis tourne le dos. Bouleversé. Ici, tous connaissen­t les victimes, les ont vus grandir.

« Je veux voir le psychologu­e »

À un balcon, une femme berce un petit enfant dans ses bras. Elle est désespérée et répète qu’elle « veut voir le psychologu­e ». Son regard part vers le ciel. « Mes enfants sont choqués. Je veux quitter ce quartier. » Son mari est rentré du travail la veille au soir, il « a salué les jeunes en bas » et est monté dans les étages. Les tireurs ont ouvert le feu juste après. La banalité de la présence des armes à feu dans le quartier Sainte-Musse a nettement passé un stade. De même que la plupart des habitants endurent la présence du trafic de drogue, sans s’acclimater à l’ambiance délétère qu’il provoque.

« Histoire sans fin »

Un père de famille, lunettes de soleil et jogging blanc, ne renie pas cette cité « conviviale », où « tous les voisins se connaissen­t». Mais aujourd’hui, «le quartier est pourri », lâche-t-il. «Ce qu’on voit dans les grandes villes à la télé. Là c’est chez nous.» Pourtant, estiment plusieurs habitants, il y a les écoles à côté, la maison des services publics, l’hôpital. On pourrait vivre normalemen­t ici. « Mais dès l’instant où on laisse faire le trafic, il y a des bandes. C’est une histoire sans fin.» Trafics. Le mot est lancé. Et chacun a sa façon de le considérer. « Là, c’est une guerre de gangs ,décrit un père de famille, pas prêt à s’étendre. On a peur de faire des doléances. Qui va protéger ma femme, mes enfants ? Qui va ramener l’argent ? »

« Les causes, je m’en fous »

Un autre ne nie pas le sujet, mais ne voit pas comment lui pourrait lutter contre. «Moi, je m’en fous des causes, car les habitants ne peuvent rien faire. Nous, on n’est pas des enquêteurs. » Façon de revendique­r le droit de vivre dans un quartier sans avoir peur de se prendre une balle perdue. Les affaires de trafic de stupéfiant­s garnissent chaque semaine les bancs des comparutio­ns devant le tribunal correction­nel de Toulon. Le quartier Sainte-Musse n’en est pas absent. Pour autant, tous ici estiment qu’ils ne voient pas assez d’uniformes, que les enquêtes ne vont pas assez vite, pas assez loin. « On vit dans la terreur. On a besoin d’être soutenu. On n’est pas dans un état de guerre, quand même!» s’indigne une habitante qui « n’ose plus sortir après 20 h ». Même sur son balcon.

SO. B. Ce sont des reproches amers, qui se répandent dans la bouche des habitants. Et qui disent que leur quartier est abandonné. Laissé de côté. Pas traité comme les autres. Les critiques se sont d’abord abattues sur des enquêteurs de la police judiciaire, qui faisaient leur travail de terrain, justement. Dans un hall d’immeuble, un débat tendu s’engage. « Tout le monde sait qui c’est, qui a tiré. Personne n’agit. Pourquoi on ne le met pas en garde à vue ? »« C’est le même problème pour toutes les cités, répond un policier. Le but, ce n’est pas d’avoir des soupçons, mais des preuves. Une garde à vue pour le plaisir, ça ne sert à rien. On connaît notre travail .»

Froide colère

Ici, on demande « des rondes de police ».« Mais des rondes de nuit, pas le jour. Qu’ils mettent des flics tous les soirs », s’exclame un père de famille excédé. « Si la police n’a pas assez d’effectifs, qu’on amène l’armée », conclut-il. Une retraitée, vivant ici de longue date, parle avec le calme d’une froide colère. « Quand vous appelez le Samu ou les pompiers, surtout, vous ne dîtes pas qu’il y a eu des tirs. Sinon, ils ne viennent pas. » La veille, elle a vu les victimes se vider de leur sang, alors que les secours avaient été appelés. Les cinq hommes ont été conduits à l’hôpital par des gens de la cité. Aucun n’a été transporté par ambulance. « Est-ce que Sainte-Musse, c’est encore Toulon ? », s’emporte un homme adossé à une voiture. Un pompier précise quelles sont leurs règles d’interventi­on. « En cas de fusillade, la police nationale doit d’abord s’assurer que nous pouvons intervenir en sécurité. » Les pompiers sont alors en attente. « Nos modes d’interventi­ons sont codifiées. Nous, nous ne sommes pas armés. Cette règle est nationale, ce n’est pas spécifique à Sainte-Musse. » Une fois le feu vert donné par la police, et seulement à ce moment-là, les pompiers se déploient.

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