Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
John, solidaire des Gilets jaunes
Loin des scènes d’émeute qui ont une nouvelle fois enflammé Paris, les Gilets jaunes se sont invités hier dans la capitale varoise. «Histoire de marquer le coup», lâche Christian, en tête de cortège. Changement de décor pour ce quinquagénaire qui s’improvise organisateur du mouvement. Au péage de Bandol dès les premiers jours, il a opté pour la ville de Toulon en ce troisième samedi de mobilisation. « L’idée est d’aller à la rencontre des gens, de faire de la pédagogie pour mieux expliquer le mouvement. Ça permet aussi à la population de mettre des visages sur les manifestants », explique Christian, la voix un peu éraillée à force d’essayer de canaliser « ses » troupes. On l’aura compris : ici à Toulon, pas de casque, ni de masque à gaz. Les Gilets jaunes ne sont pas venus pour casser. Ni pour paralyser la ville. Résolument pacifiques, ils n’en sont pas moins déterminés. « On ne s’essoufflera pas. On ne peut pas, sinon on crève », assène Frédéric, un retraité. S’il est mobilisé depuis le 17 novembre, ce n’est pas tant pour lui que pour les autres. Ses enfants, mais surtout les petites gens, les « gueux » auxquels il s’identifie bien sûr. «Vous trouvez normal que des mères de familles crèvent la faim dès la troisième semaine du mois ? Vous trouvez normal que des retraités soient obligés de faire les poubelles pour trouver de quoi manger ? », interroge-t-il. Et d’enchaîner: « Ceux qui nous gouvernent sont complètement à côté de la plaque. Les Français ont cru en Macron parce qu’il était nouveau, mais au final c’est pire. Il a des idées pour 2035, c’est bien. Mais nous, on se bat pour l’instant présent. C’est maintenant qu’on a besoin de plus d’argent pour vivre ! »
Soutien populaire
Des revendications qui parlent visiblement aux gens. Ainsi, sur leur passage sur les grandes artères toulonnaises, les Gilets jaunes sont salués par des salves de klaxon en guise de soutien. Alors que sur les trottoirs, « Le marché avec nous ! Le marché avec nous ! ». Les Gilets jaunes avaient-ils prémédité hier matin de s’engager sur le cours Lafayette très fréquenté en ce samedi ensoleillé ? Apparemment pas. Et c’est pour ainsi dire à l’instinct, qu’ils ont descendu entre les étals le plus connu des marchés de Provence. Comme ailleurs dans la capitale varoise, ils ont reçu un accueil plutôt chaleureux de la part des Toulonnais venus faire leurs courses. Au beau milieu du cours, ils ont même eu la surprise de voir un revendeur vêtu de la fameuse pièce de tissu jaune. Visiblement solidaire avec le mouvement, John, le commerçant en question, a même fait cadeau de
De l’argent, tout de suite ! ”
certains passants, traînant leurs chariots à commissions, font l’effort d’agiter un gilet jaune par solidarité. Ida, retraitée, n’en a pas, mais elle est derrière eux. « C’est grâce à ce genre de mobilisation qu’on a eu des congés payés. Il y a trop de taxes, trop d’augmentations en tout genre, alors que nos pensions, déjà pas très élevées, ne bougent pas. Même en faisant attention, on vivote », déclare cette Toulonnaise qui, confie-t-elle, avait
« 21 ans en 1968». Un peu plus loin sur le boulevard de Strasbourg, une dame aux cheveux blancs applaudit des deux mains le cortège. À une manifestante qui s’approche d’elle, elle glisse sur l’air de Cadet Rousselle : « Il faut entonner les chants révolutionnaires, ça tue les tyrannies ». Mais à l’évocation du président de la République, la vieille dame se fait moins légère. «En supprimant l’ISF, Macron a enrichi les actionnaires aux dépens des gueux». S’ils reconnaissent un manque certain d’organisation (lacune qu’ils vont essayer de gommer à l’avenir), les Gilets jaunes à l’initiative du rassemblement d’hier peuvent en revanche s’enorgueillir d’avoir su canaliser le ras-le-bol des quelque 400 manifestants. Que ce soit sur le marché du cours Lafayette, devant l’hôtel de ville – halte symbolique – où ils ont chanté la Marseillaise, ou, plus tard dans l’après-midi, quand ils ont bloqué l’autoroute A 50 dans les deux sens, tout s’est passé dans le calme et dans le dialogue avec les forces de l’ordre. Avant de repartir au péage de Bandol, Christian, les traits tirés certes, n’était pas mécontent du déroulement de la journée : « Ça fait plaisir de voir que les Français sont unis pour une cause qui nous semble juste ».