Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Épris de liberté

Le peintre et graveur Michel Carlin a côtoyé Fernand Léger et exposé aux côtés de Pablo Picasso

- E. ESPEJO

L’ancienne chapelle, sur les hauteurs de Callas, protège l’artiste des ciels importuns. Vêtu d’un pull noir, petit foulard, Michel Carlin entre derrière son sourire. Il libère un regard espiègle. Marque une courte pause avant de confier : ce qui a longtemps repoussé les acheteurs, l’a attiré ici. Un vaste garage pour son atelier. Des peintures, sculptures, gravures qui depuis inondent les étagères. Une vie de travail. Une vie d’artiste. Entre ces murs de vieilles pierres, le peintre voyage. De temps en temps, il sort de la toile pour aller vers une autre matière : la céramique, la gravure. Une manière, pour lui, de revisiter le dessin à fond.

Avec humilité

À 83 ans, l’artiste ne cesse de produire des oeuvres. Tous les matins. Parfois jusqu’au soir, à l’épuisement. A l’aide de son stylo plume, complèteme­nt usé, il noircit de programmes ses carnets de croquis. Des notes qu’il transforme sur la toile. Des reflets d’un monde perceptibl­e. Cette sensibilit­é pour l’art, il l’a découverte très tôt, sur les bancs de l’école communale, à Chambéry, alors qu’il parcourt un petit livre sur Van Gogh. « Je n’avais jamais vu de peinture. C’était un déclic », avoue l’artiste. « J’ai été épris de liberté. »

À défaut de pouvoir s’offrir des toiles, Michel Carlin peint sur n’importe quelle matière. Du carton. Du bois. Du fer. Principale­ment des paysages de Savoie. « On m’a alors conseillé de faire les Beaux-arts. Je me suis vite rendu compte que cela ne me convenait pas », confie-t-il. Une période qui coïncide avec une tragédie, la disparitio­n brutale de son père. À 18 ans, le jeune homme quitte

la Savoie pour Vallauris où il trouve refuge chez son oncle. « Un cousin avait une voiture, ce qui était assez fantastiqu­e à l’époque ! », se souvient-il. Ses balades sur la Côte le mènent à croiser le chemin de Roland Brice, céramiste et ami de Fernand Léger. Ce dernier, touché par ce gamin qui avait quitté les Beaux-arts, lui glissera un petit papier avec son adresse parisienne. « Fernand Léger a corrigé mes dessins deux ou trois fois à La Grande Chaumière avant son décès » précise-til. Il lui a donné les premiers rudiments du dessin. L’artiste dessine, avec humilité, des corps nus, souvenirs d’une guerre qu’il a connus enfant dans sa ville d’origine. Des corps brûlés et mutilés auxquels il sera de nouveau confronté durant la guerre d’Algérie. Une période qui laissera place à de nouvelles compositio­ns, des toiles monochrome­s blanches. Une époque où également il se lie d’amitié avec d’autres artistes dont le peintre Jean Villeri, le photograph­e André Villers. Il fréquente Pablo Picasso dont il se souvient ce commentair­e au sujet de ses oeuvres : « Vous faites une céramique de peintre. » Ceux qui l’ont le plus influencé ? Robert Ryman, Newman… Une vie de bohème, parfois dans la misère, mais toujours à l’écoute du monde qui l’entoure. Ainsi, lorsqu’il installe, quelques années plus tard à Draguignan, et que les incendies frappent le Var, il ne peut rester insensible. « Je ramassais les souches calcinées. Un jour je les ai recouverte­s de bandes blanches, comme si je soignais ces brûlures. »

Après avoir exprimé ses douleurs, ses colères et indignatio­ns, Michel Carlin avoue que son travail sur la mémoire s’est estompé. Et pose un regard sur la société. « Le monde subit des chamboulem­ents. On va droit dans le mur. Au niveau de l’écologie. La misère évolue (...) », souffle-t-il. «Je suis privilégié car je vis de ma passion. Aujourd’hui, le monde est déboussolé par l’argent et les croyances. Je vois que cela ne sert

à rien de “crier”. » Alors, il improvise sur sa toile blanche, « le hasard ». Fruit de son imaginatio­n. Passionné de musique et de littératur­e tout comme son épouse – professeur de français – il trouve certaineme­nt là une autre source d’inspiratio­n. Et continue d’exposer ses oeuvres principale­ment dans de petites galeries en France et au Danemark, où ses créations sont particuliè­rement appréciées. Mais aussi dans des endroits plus discrets (1). Cependant, l’une de ses compositio­ns, L’infini à remplir, réalisée alors qu’il résidait à Draguignan, devrait bientôt attirer de nombreux regards en Dracénie. La fresque magistrale pourrait être déplacée de La Garde à Salernes prochainem­ent… En attendant, l’artiste vient de signer un bel ouvrage illustré, retraçant les différente­s périodes de sa carrière artistique. Plus d’un demi-siècle de peinture.

1. L’ouvrage de Michel Carlin, « Michel Carlin peintures », est disponible à la librairie Papiers Collés, Bd Clemenceau où certaines de ses oeuvres sont toujours visibles.

Je suis privilégié car je vis de ma passion”

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