Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Des menaces sur le modèle des coopératives agriecsol
Les agriculteurs coopérateurs refusent le démantèlement programmé de leurs entreprises prévu par les ordonnances de la loi Egalim. « On ne casse pas un modèle qui marche » disent-ils
La colère gronde dans les campagnes et ce n’est pas celle des Gilets jaunes. Cette fois, ce sont les agriculteurs coopérateurs, qui sont vent debout contre le gouvernement. Ce dernier a mis sur la table, le 18 janvier, une nouvelle version des ordonnances issues de la loi pour l’Équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi Egalim. En assimilant systématiquement le contrat coopératif à un contrat commercial, « ces textes nient les fondements juridiques de la coopération agricole et remettent en cause son modèle de développement » selon eux. Le modèle coopératif est attaqué pour Coop de France, qui regroupe des milliers de coopérateurs agricoles. Hélène Basset, directrice de la Fédération des caves coopératives du Var, décrypte ce qui est en train de se jouer.
Que reprochez-vous aux ordonnances ? Depuis les États généraux de l’alimentation, le parlement a voté la loi Egalim. L’une des ordonnances, qui en découlent, met du droit commercial dans une relation qui ne l’est pas. Le coopérateur et la coopérative n’ont pas une relation commerciale, le coopérateur apporte sa production à la coopérative qui n’est pas un tiers, elle est une partie de son exploitation. Notre modèle économique est vraiment particulier. Le coopérateur s’engage à apporter son produit et la coopérative s’engage à le rémunérer au mieux du marché. La notion d’abus n’existe pas dans le monde coopératif car les adhérents sont propriétaires de l’entreprise et, au contraire, la coopérative recherche toute valeur ajoutée qu’elle peut leur apporter. Le but n’est pas que la coopérative fasse des bénéfices sur le dos des coopérateurs mais qu’elle fasse des produits pour faire fructifier l’ensemble des exploitations. Ça peut faire penser à une société, car on est une entreprise, on prend des décisions, mais dans l’intérêt de tous les coopérateurs.
Voyez-vous dans cette ordonnance la main d’un ou de plusieurs lobbys ? De là où je suis, dans le Var, je ne sais pas. J’ai l’impression qu’il y a un manque de connaissance de nos outils, une volonté de simplifier notre modèle pour qu’il se rapproche des modèles d’entreprise commerciale. J’espère que c’est seulement cela, un manque de lucidité, de compétence, une volonté de simplification, mais je n’en sais rien. Le problème c’est qu’il y a un gros risque de tout déséquilibrer. Or les agriculteurs ont besoin d’être forts. Et ils le sont grâce à ce système coopératif. Les coopératives dans la filière viticole, consolident l’outil collectif, investissent dans le froid, dans la vinification, dans l’humain avec des embauches. Grâce à cela, on voit une montée en gamme. Il n’y a plus de vins mauvais car les coopératives ont beaucoup investi. On a bossé, on commence à en récolter les fruits. On est dans un marché très concurrentiel. On n’a jamais vendu notre vin aussi bien, on n’a jamais eu un produit aussi attractif, ce n’est pas le moment de fragiliser l’outil collectif. Tout le monde serait perdant. Dans la filière, la coopérative représente % des volumes en Provence.
Quelles seraient les conséquences pour les agriculteurs si l’ordonnance reste en l’état ? À très court terme, ça ne va pas changer grand-chose. Mais au fil du temps, ça va mettre de l’individualisme là où il y a de la solidarité. On va avoir des coopératives avec des coopérateurs moins engagés, moins solidaires. On va devenir des coopératives plus libérales, ça va faire disparaître les structures les plus fragiles et des exploitations. On va aller vers des concentrations. Et pour les consommateurs ? On a tous intérêt à ce que le système coopératif perdure. Pour les paysages que ce modèle permet de conserver, pour la diversité des productions, pour les employés. Avec moins d’agriculteurs aux manettes, plus des financiers, le consommateur aura moins de points de vente, moins de proximité. Et des emplois vont disparaître, qui pèseront sur le système de protection collectif.
Que se passera-t-il si le gouvernement reste sourd à vos revendications ? J’espère d’abord que la commission Vin de l’Assemblée nationale va se mobiliser. On a une députée, Mme Mauborgne, qui y siège et qui, après avoir lu notre communiqué, nous a dit qu’elle veille au grain. Et une autre, Mme Gomez-Bassac, qui est consciente des enjeux de la viticulture aussi et à l’écoute. On compte sur elles pour nous soutenir. Si ça ne suffit pas, en coopérative, le syndicalisme on connaît, c’est dans les gênes. Les coopératives agricoles existent depuis dans le Var, c’est un modèle qui fonctionne très bien et qui nous a permis de surmonter de grosses crises. C’est de la solidarité, de la mutualisation. S’ils veulent tout casser c’est qu’ils pensent que ça ne marche pas, or c’est le contraire. Les gens ne se laisseront pas faire, ne laisseront pas casser cela. Ce qui me rassure, c’est que dans le débat national, les gens ont envie de solidarité, de partage, de ruralité. C’est exactement ce que font les coopératives. On répond à un modèle sociétal, environnemental, et on est dans l’économie rurale.