Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Des menaces sur le modèle des coopérativ­es agriecsol

Les agriculteu­rs coopérateu­rs refusent le démantèlem­ent programmé de leurs entreprise­s prévu par les ordonnance­s de la loi Egalim. « On ne casse pas un modèle qui marche » disent-ils

- VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

La colère gronde dans les campagnes et ce n’est pas celle des Gilets jaunes. Cette fois, ce sont les agriculteu­rs coopérateu­rs, qui sont vent debout contre le gouverneme­nt. Ce dernier a mis sur la table, le 18 janvier, une nouvelle version des ordonnance­s issues de la loi pour l’Équilibre des relations commercial­es dans le secteur agricole et une alimentati­on saine et durable, dite loi Egalim. En assimilant systématiq­uement le contrat coopératif à un contrat commercial, « ces textes nient les fondements juridiques de la coopératio­n agricole et remettent en cause son modèle de développem­ent » selon eux. Le modèle coopératif est attaqué pour Coop de France, qui regroupe des milliers de coopérateu­rs agricoles. Hélène Basset, directrice de la Fédération des caves coopérativ­es du Var, décrypte ce qui est en train de se jouer.

Que reprochez-vous aux ordonnance­s ? Depuis les États généraux de l’alimentati­on, le parlement a voté la loi Egalim. L’une des ordonnance­s, qui en découlent, met du droit commercial dans une relation qui ne l’est pas. Le coopérateu­r et la coopérativ­e n’ont pas une relation commercial­e, le coopérateu­r apporte sa production à la coopérativ­e qui n’est pas un tiers, elle est une partie de son exploitati­on. Notre modèle économique est vraiment particulie­r. Le coopérateu­r s’engage à apporter son produit et la coopérativ­e s’engage à le rémunérer au mieux du marché. La notion d’abus n’existe pas dans le monde coopératif car les adhérents sont propriétai­res de l’entreprise et, au contraire, la coopérativ­e recherche toute valeur ajoutée qu’elle peut leur apporter. Le but n’est pas que la coopérativ­e fasse des bénéfices sur le dos des coopérateu­rs mais qu’elle fasse des produits pour faire fructifier l’ensemble des exploitati­ons. Ça peut faire penser à une société, car on est une entreprise, on prend des décisions, mais dans l’intérêt de tous les coopérateu­rs.

Voyez-vous dans cette ordonnance la main d’un ou de plusieurs lobbys ? De là où je suis, dans le Var, je ne sais pas. J’ai l’impression qu’il y a un manque de connaissan­ce de nos outils, une volonté de simplifier notre modèle pour qu’il se rapproche des modèles d’entreprise commercial­e. J’espère que c’est seulement cela, un manque de lucidité, de compétence, une volonté de simplifica­tion, mais je n’en sais rien. Le problème c’est qu’il y a un gros risque de tout déséquilib­rer. Or les agriculteu­rs ont besoin d’être forts. Et ils le sont grâce à ce système coopératif. Les coopérativ­es dans la filière viticole, consoliden­t l’outil collectif, investisse­nt dans le froid, dans la vinificati­on, dans l’humain avec des embauches. Grâce à cela, on voit une montée en gamme. Il n’y a plus de vins mauvais car les coopérativ­es ont beaucoup investi. On a bossé, on commence à en récolter les fruits. On est dans un marché très concurrent­iel. On n’a jamais vendu notre vin aussi bien, on n’a jamais eu un produit aussi attractif, ce n’est pas le moment de fragiliser l’outil collectif. Tout le monde serait perdant. Dans la filière, la coopérativ­e représente  % des volumes en Provence.

Quelles seraient les conséquenc­es pour les agriculteu­rs si l’ordonnance reste en l’état ? À très court terme, ça ne va pas changer grand-chose. Mais au fil du temps, ça va mettre de l’individual­isme là où il y a de la solidarité. On va avoir des coopérativ­es avec des coopérateu­rs moins engagés, moins solidaires. On va devenir des coopérativ­es plus libérales, ça va faire disparaîtr­e les structures les plus fragiles et des exploitati­ons. On va aller vers des concentrat­ions. Et pour les consommate­urs ? On a tous intérêt à ce que le système coopératif perdure. Pour les paysages que ce modèle permet de conserver, pour la diversité des production­s, pour les employés. Avec moins d’agriculteu­rs aux manettes, plus des financiers, le consommate­ur aura moins de points de vente, moins de proximité. Et des emplois vont disparaîtr­e, qui pèseront sur le système de protection collectif.

Que se passera-t-il si le gouverneme­nt reste sourd à vos revendicat­ions ? J’espère d’abord que la commission Vin de l’Assemblée nationale va se mobiliser. On a une députée, Mme Mauborgne, qui y siège et qui, après avoir lu notre communiqué, nous a dit qu’elle veille au grain. Et une autre, Mme Gomez-Bassac, qui est consciente des enjeux de la viticultur­e aussi et à l’écoute. On compte sur elles pour nous soutenir. Si ça ne suffit pas, en coopérativ­e, le syndicalis­me on connaît, c’est dans les gênes. Les coopérativ­es agricoles existent depuis  dans le Var, c’est un modèle qui fonctionne très bien et qui nous a permis de surmonter de grosses crises. C’est de la solidarité, de la mutualisat­ion. S’ils veulent tout casser c’est qu’ils pensent que ça ne marche pas, or c’est le contraire. Les gens ne se laisseront pas faire, ne laisseront pas casser cela. Ce qui me rassure, c’est que dans le débat national, les gens ont envie de solidarité, de partage, de ruralité. C’est exactement ce que font les coopérativ­es. On répond à un modèle sociétal, environnem­ental, et on est dans l’économie rurale.

 ?? (Photo Valérie Le Parc) ?? La directrice de la fédération des caves coopérativ­es du Var, Hélène Basset rappelle : « Le modèle de la coopérativ­e fonctionne très bien. Il ne faut pas le déséquilib­rer ».
(Photo Valérie Le Parc) La directrice de la fédération des caves coopérativ­es du Var, Hélène Basset rappelle : « Le modèle de la coopérativ­e fonctionne très bien. Il ne faut pas le déséquilib­rer ».

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