Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Le bon grain de l’ivresse

À 27 ans, Paul Luquain, chef de la cave du Relais des moines, établissem­ent étoilé des Arcs, place sa sélection de crus sur le podium des plus belles cartes de France. Le jeune homme raconte une passion mûrie sur le tard

- Textes : Romain ALCARAZ ralcaraz@nicematin.fr Photos : Dylan MEIFFRET

Profitez-en tant qu’il est là. Et vu le bonhomme, ça pourrait ne pas durer. Paul Luquain, chef sommelier du Relais des moines, est du genre actif. Hyperactif même. À 27 ans, il vient de placer la carte de l’établissem­ent des Arcs sur le podium des meilleures cartes de vin de France (parmi 8 000 !), dans la catégorie des restaurant­s gastronomi­ques. Cela, au terme du concours « Tour des cartes » organisé par Terre de vins, magazine de référence sur l’oenologie. Une consécrati­on pour la toute jeune carrière de Paul, dont on serait surpris que cela soit la dernière. Il faut dire que le parcours du jeune sommelier impression­ne déjà : La Chèvre d’or, restaurant deux étoiles du pays niçois, Le Neuvième art, table lyonnaise (deux étoiles également), Le Clair de la

plume, établissem­ent une étoile de la vallée du Rhône… Bref, que du bon. Avec à chaque fois, une nouvelle marche franchie. « J’ai commencé au bar, puis peu à peu, j’ai gravi les échelons. » Assistant sommelier, puis chef. Une ascension fulgurante. Qui ne coulait pourtant pas de source. Car on aimerait raconter la jeunesse d’un garçon plongé dans les vignes, les premiers émois autour d’un petit verre de blanc dans sa Lorraine natale, le goût inné pour les saveurs tanniques… Mais non. Ceci n’est pas une histoire d’un destin tout tracé. « Moi, je voulais être pompier. » Sec comme un arbre dans le désert, c’est vrai qu’on voit bien le jeune homme en tenue ignifugée combattant le feu d’une main et sauvant une poignée d’enfants de l’autre. Ce qui colle aussi, c’est le débit, rapide, façon mitraillet­te. Mais la vie en a décidé autrement. «Au collège, j’étais hyperactif. Je me suis orienté vers l’hôtellerie. »

Sans trop savoir pourquoi. Ou plutôt en se disant : pourquoi pas ? Et ça y est : la graine de la passion est plantée. « Ça m’a tout de suite plu. Dès les années du bac pro. » Comment passe-t-on d’un goût presque génétique pour la bière (on est en Lorraine, faut-il le rappeler ?) à une admiration pour les nuances de rouge ou de blanc ? « J’ai toujours été épicurien », concède-t-il. Mais sans doute Thierry Millet y est-il aussi pour quelque chose… Ce dernier, professeur du jeune Paul Luquain, est en passe de devenir Meilleur ouvrier de France (MOF) dans la catégorie maître d’hôtel. « Il passait justement les épreuves pour le devenir. » Et il transmet aux élèves une passion pour l’art de la table qui ne quittera plus le chef sommelier des Arcs. « C’est un grand passionné, il nous racontait les histoires, les anecdotes de son métier. » De quoi nourrir encore davantage l’étincelle, en passe de devenir un brasier dans le coeur du garçon. Pour un ex-futur-pompier, c’est un comble… La suite, on la connaît : Paul enchaîne les maisons prestigieu­ses, et arrive en fin d’année 2017 dans le restaurant du chef Sébastien Sanjou. « Je cherchais à partir avec ma compagne qui est chef de rang, et Le Relais des moines avait besoin de nos deux profils. » Une chance. Une belle opportunit­é. « Je suis ici responsabl­e de la cave. » Mais c’est davantage en salle que l’homme aime évoluer. « Pour être un bon sommelier, il faut goûter, aller voir les domaines, être toujours très ouvert, avec les vignerons, avec le chef… » Mais Paul aime par-dessus tout le contact avec les clients du restaurant. « On écoute, on pose les bonnes questions, on doit comprendre ce qu’ils souhaitent, on cherche l’accord mets et vin idéal… Il y a une histoire sur chaque vin et les gens sont à l’écoute. Mon métier, c’est le partage. » Son patron, Sébastien Sanjou, ne dirait pas autre chose : « Un restaurant, ce n’est pas une cathédrale. Le client ne vient pas pour qu’on lui donne un cours d’oenologie. Paul n’est pas dans cette démarche de maître d’école, c’est une génération de sommeliers qui va casser les codes. » Et ça commence déjà un peu, avec ce prix. « Une carte, c’est souvent de l’oeuvre d’une vie », a estimé Philippe Faure-Brac, le président du jury. Gageons que l’oeuvre de Paul Luquain n’a pas encore été achevée. Alors, être déjà récompensé, c’est un vrai bonheur. « La carte que j’ai proposée au concours, c’est aussi celle de mon prédécesse­ur. Comme j’aime les choses bien carrées, j’ai amélioré la lisibilité, et j’ai apporté ma patte avec des références qui me tiennent à coeur. » Dont certaines qui viennent d’un terroir varois que Paul a appris à connaître. « C’est une vraie découverte. La Provence a fait un énorme travail d’assemblage­s, d’élevage, pour sortir du cliché de “terre à rosé”. » Son dernier coup de coeur ? « L’Hermitage St-Martin, cuvée Promesse de l’ange, à La Londe. » Un blanc à découvrir… Dans la cave exiguë du restaurant varois, l’homme est dans son élément. Mais un peu à l’étroit. «Jeme donne deux ans par maison. Là, tout se passe bien, les Sanjou sont au top. » Mais le projet qui anime l’esprit de Paul Luquain, c’est d’ouvrir son propre établissem­ent. « Dans ma région natale. » Hyperactif. Et sentimenta­l…

‘‘ Le Var, c’est une vraie découverte, loin du cliché de terre à rosé”

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