Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Signé Roselyne
Mardi
On ne peut pas dire que le discours du Premier ministre décrivant la stratégie du déconfinement annoncée par Emmanuel Macron ait été d’une franche gaîté, il était même carrément sinistre. Il faut bien reconnaître que cette prudence était de mise tant la complexité de la démarche éclate en plein jour, la réouverture des établissements scolaires et les transports publics cristallisant les plus grandes difficultés. Édouard Philippe nous a avertis sèchement : tout relâchement remettra en cause la date du mai, les contraintes qui nous seront imposées vont durer longtemps et le risque d’écroulement du pays est majeur. Les jours à venir vont voir se déployer les cahiers des charges et autres guides pratiques qui vont permettre de rendre opérationnels les objectifs ainsi fixés. Espérons, sans trop y croire, qu’ils ne seront pas de longs catalogues tellement minutieux qu’ils en seront inapplicables… Les oppositions se sont opposées, et après tout on ne saurait leur en faire le reproche. Il est cependant dommage qu’elles se soient contentées de faire la liste des errances passées – alors même que certaines y avaient largement participé – ou de pichenettes parcellaires et n’aient pas proposé de vraies alternatives globales, accréditant en creux qu’il n’y avait pas de contre-projet à celui présenté par le gouvernement. En tout cas, une chose sautait aux yeux et aux oreilles, c’est qu’aucun des présents, quelle que soit sa tendance, n’a fait son mea culpa en reconnaissant qu’il ou elle n’avait rien prévu il y a encore trois mois. J’ai même eu la curiosité de jeter un oeil sur les débats parlementaires afférents à la santé lors de la session de l’automne . Pas un mot sur ce sujet… Pas une pancarte portée par un syndicaliste ou un « gilet jaune » n’a sommé le gouvernement de s’expliquer sur ce thème. Plus grave, la préparation du pays à une éventuelle pandémie ne ressortait d’aucun programme des onze candidats présents au premier tour de la dernière élection présidentielle ! Aucun journaliste ne les a d’ailleurs interpellés sur ce sujet. Aucun débat public n’a été monté sur ce thème par une quelconque organisation. La vérité sur cette catastrophe pandémique est que personne n’y croyait et que nous en portons tous une part de responsabilité.
Jeudi
Très intéressante étude prospective du cabinet Public Health Expertise s’appuyant sur les données de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, de l’Institut Pasteur et des travaux de l’université de Columbia aux États-Unis. Si le mai, le déconfinement nous faisait revenir à « la vie d’avant », le bilan humain serait terrifiant avec au moins morts. Si le plan du gouvernement – tests, masques et mesures barrières – est correctement mis en oeuvre, ce bilan serait ramené à décès et ne nous épargnerait donc pas cette deuxième vague qui mettrait à nouveau en tension un système sanitaire à bout de forces. La seule façon de se sortir de ce cauchemar serait de surprotéger les personnes fragiles, principalement les personnes âgées et tout spécialement celles porteuses de comorbidités, hypertension, diabète ou maladies chroniques. La conclusion de ces projections est implacable : il convient pour réussir cette sortie de crise de maintenir le confinement d’au moins % de ces personnes vulnérables, soit millions d’individus pendant semaines, soit jusqu’à début février ! L’évocation d’un confinement obligatoire d’une partie de la population sur un critère d’âge a été écartée devant la levée de boucliers des seniors révoltés d’une telle discrimination par ailleurs insoutenable sur le plan juridique. Nous les « + », nous n’avons qu’un seul choix possible, celui d’une démarche volontaire et citoyenne. Refuser obstinément les loisirs en groupes style croisières ou voyages organisés, limiter strictement les réunions amicales et familiales à quelques personnes, éviter farouchement les transports en commun et les lieux d’approvisionnement par trop achalandés tout en se conformant avec une rigueur absolue aux précautions qui s’imposent à tous, et mieux, s’en faire les militants intransigeants. Je sais les sacrifices que nous allons nous imposer, mais l’alternative ne fait aucun doute, soit nous les acceptons, soit le confinement global de toute la population sera à nouveau mis en oeuvre et l’écroulement du pays sera inéluctable.
Samedi
Une nouvelle polémique – encore une – est en train de prospérer : et si certaines grandes surfaces avaient constitué en douce des stocks de masques pour les jeter sur le marché une fois le confinement levé ? On comprend que cette hypothèse, non vérifiée au demeurant, ait suscité la colère des personnels de santé et tout spécialement des pharmaciens, dans l’incapacité de s’approvisionner et contraints depuis des semaines de refuser de fournir ce matériel à leurs clients. Une rapide enquête devrait permettre d’y voir clair même si le soupçon persistera, tant la grande distribution nous a habitués à des pratiques commerciales parfois peu reluisantes. En tout cas, il semble bien que la crainte d’une pénurie de masques s’estompe et que les livraisons affluent, hélas, dans le plus grand désordre. En sus de l’État, collectivités locales, associations caritatives, entreprises, tout le monde y est allé de ses commandes, faisant même de ces achats une opération de communication et de promotion. Désolée d’être désagréable, mais ce bastringue organisationnel est la démonstration de l’inefficacité de l’échelon local à mener la stratégie et la logistique de l’urgence sanitaire. C’est précisément quand en , l’État a décidé d’abandonner ses prérogatives et de confier aux établissements hospitaliers le soin de gérer les stocks tactiques de masques que tout cela est parti en brioche. Les conseils de surveillance des hôpitaux où siègent les élus locaux et présidés majoritairement par les maires n’ont rien vu venir. Les personnels hospitaliers ne se sont jamais intéressés à ce dossier tant leurs forces sont mobilisées sur le soin au sens strict. La vérité est qu’il est absurde de parer le « terrain » de toutes les vertus. Il est des choses qu’il fait mieux que l’État, mais il est aussi des défis stratégiques que seul ce dernier est en mesure d’assumer. Ce n’est pas parce que les élus locaux ont passé en catastrophe des commandes en pleine crise qu’ils ont fait preuve de bonne gestion et d’anticipation. C’est bien à l’État de retrouver le rôle de stratège qu’il a abandonné et d’optimiser sa démarche par une coordination européenne qui plus que jamais manque cruellement.
« La vérité sur cette catastrophe pandémique est que personne n’y croyait et que nous en portons tous une part de responsabilité. »