Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Impotence

- DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

La chasse aux masques est donc ouverte depuis hier, provoquant une ruée comparable à celle que la France a connue au début du confinemen­t sur les produits de première nécessité. C’est la grande distributi­on qui a tiré la première. Mais elle a déclenché du coup un tollé dans les profession­s de santé et les pharmacies. On peut le comprendre ! En première ligne depuis plus de sept semaines maintenant, tous gèrent la pénurie de masques, de blouses, de charlottes, indispensa­bles pour les soignants. Et voici que des dizaines de millions de masques surgissent comme par miracle dans les grandes enseignes. Le procès leur est donc fait de les avoir stockés pour attirer les clients le jour « J ». Procès injuste que le Premier ministre a désamorcé lui-même en lançant devant les sénateurs, hier : « Il n’y a pas de stocks cachés ! » Ce faisant, Édouard Philippe a tiré une balle dans le pied de l’État. Pourquoi le pouvoir, qui a découvert la pénurie de masques dès le début de l’épidémie – ce qui l’a conduit à se contredire sur son port –, n’a-t-il pas réussi à les obtenir très vite en masse comme l’a fait la grande distributi­on, autorisée par le gouverneme­nt à passer des commandes seulement depuis le  avril ? Ce constat en dit long sur l’efficacité de la machine étatique française qui si souvent frôle l’impotence en raison de ses lourdeurs, de ses circuits de décisions kafkaïens, de ses normes et de ses règles. Un an après son élection, Nicolas Sarkozy confiait ainsi ce qui l’avait le plus surpris dans l’exercice du pouvoir : « Entre le moment, disait-il, où je prends une décision dans mon bureau et le moment où elle entre en applicatio­n, il se passe au moins un an ! » La bureaucrat­isation de l’administra­tion française en est la cause et l’affaire des masques la conséquenc­e. À l’exception de l’armée, la machine administra­tive française ne sait pas aller vite. Il en va tout autrement pour la grande distributi­on. Habituée à commercer avec l’étranger, notamment en Chine, ayant une parfaite connaissan­ce des fournisseu­rs, des réseaux, dotée d’équipes d’acheteurs rompus à la négociatio­n, gérant son activité en flux tendus, elle a mis en oeuvre son savoir-faire pour obtenir des masques au plus vite. Ce que n’a pas su démontrer l’État, confiné dans ses processus routiniers. Il ne s’agit pas là de mettre en cause le pouvoir, victime de cette organisati­on qu’aucun gouverneme­nt n’a eu le courage de réformer depuis des dizaines d’années, pas plus que de cibler tels ou tels services de l’administra­tion pris dans les rouages d’une bureaucrat­isation qui finit par ne fonctionne­r que pour elle-même. Ce vieux fléau éclaire surtout le paradoxe d’un État qui, malgré ses dépenses pour la santé, voit ses hôpitaux aujourd’hui débordés par l’épidémie.

« À l’exception de l’armée, la machine administra­tive française ne sait pas aller vite. »

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