Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Masques : couturières en colère
Tout travail mérite salaire. Couturier (ère), c’est un métier. Manier une machine à coudre demande des compétences qui ne s’improvisent pas. Surtout lorsqu’il s’agit de coudre des masques à la chaîne si l’on veut qu’ils soient bien réalisés, efficaces et durables au fil des lavages. Il y a quelques semaines, le collectif national Bas les Masques a pris naissance d’un ras-le-bol généralisé de la profession qui demandait simplement à être rémunérée pour son travail. Car beaucoup de professionnels de la confection ont été approchés pour faire des masques bénévolement. Comme si dans l’inconscient collectif s’était ancrée une injonction commandant à tous ceux qui savent coudre d’enchaîner la fabrication de ces dispositifs qui manquent tant.
« Là, clairement, on se moque de nous »
Sabine, couturière et brodeuse toulonnaise, fait partie de ceux chez qui la colère gronde. « Je n’ai jamais manifesté de ma vie, je ne suis pas du genre à faire d’esclandre, mais là, clairement, on se moque de nous. » L’histoire de Sabine est typique et révélatrice du malaise. Cette indépendante travaille pour des particuliers et collaborait avec une petite entreprise avant le confinement. Sauf que le 16 mars, toutes les commandes ont été annulées. Zéro boulot, zéro euro. La prime de 1 500 euros ? Elle n’en a quasiment pas vu la couleur : « Les conditions sont draconiennes : l’État se base sur les revenus de l’année précédente or, l’hiver, les affaires tournent au ralenti. Donc j’ai touché 525 euros en mars… » Sabine a malgré tout souhaité apporter sa pierre à l’édifice. « Voyant les risques que prenaient les soignants et leur manque de matériel, j’ai, dès le début de la crise sanitaire, cousu des masques pour eux en utilisant mon propre stock de fournitures. » La Toulonnaise coud sans relâche de 6 à 23 heures pendant des jours. Puis des connaissances commencent à lui demander des masques. « Un jour, un ami voulait m’en acheter dix. Je ne comptais pas les vendre, mais il m’a dit : “tu travailles, tu as acheté des fournitures, il est normal que je te rémunère”. » La petite phrase la fait réfléchir… D’autant que sa situation financière empire. « Si j’avais été au chômage partiel, j’aurais trouvé cela normal de travailler bénévolement. Mais il s’avère que la couture, c’est mon métier. Finalement, c’est normal que je sois rémunérée pour l’exercer. » Comme les soignants, comme les caissiers, comme les forces de l’ordre…
« C’est mon gagne-pain »
Sabine a bien des explications au fait que beaucoup de gens pensent que les couturiers (ères) devraient bosser gratuitement, pour le bien de la collectivité. « D’abord, il y a ceux qui disent que la couture, c’est un truc de bonne femme, que ça nous occupe de coudre des masques à la chaîne. D’une part, non, ce n’est pas amusant, il n’y a aucun processus créatif. D’autre part, je le répète, c’est mon métier, mon gagne-pain, je ne suis ni au chômage, ni retraitée. Sans cela, je n’ai aucun revenu. Ensuite, la profession est majoritairement féminine, alors nous sommes moins défendues, éclaire-t-elle. Et ce n’est pas tout. Lorsque l’État nous demande de travailler gratuitement – pour pallier son manque d’organisation – et distribuer nos masques, il les considère très bien. En revanche lorsqu’on veut les vendre, il nous répond qu’ils ne sont pas homologués et qu’ils ne protègent pas. C’est une blague ? » Face à la grogne, la réglementation a été ajustée pour autoriser la vente des masques, sous conditions. Pour autant, cela ne réglera pas le problème de tous ces couturiers (ères). Sabine, elle, va partir : elle a trouvé un CDD dans une usine de confection. Pour remettre ses comptes à flot.
Retrouvez le collectif Bas les Masques sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter). Une pétition a été lancée à cette adresse sur www.change.org « masques, blouses, hold-up sur le métier de couturier (ère) ».