Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

On révise ses classiques

- PAR AURORE HARROUIS magazine@nicematin.fr

« Nous sommes tous très intéressés, très mouches du coche. Folcoche se tord toujours, inconscien­te, les deux mains sur le foie. Sa respiratio­n siffle. Dois-je le dire ? Mais nous respirons mieux depuis qu’elle étouffe. » Quelle violence du texte dans Vipère au poing ! Mais quelle justesse dans le choix des mots et de l’écriture ! Chez Hervé Bazin, c’est la haine qui nourrit la plume magnifique­ment. Dans son bestseller (plus de 5 millions d’exemplaire­s écoulés depuis sa parution), encore plus qu’ailleurs. 1948. Bazin, 37 ans, journalist­e, apporte à Bernard Grasset un manuscrit. Y est consigné un règlement de comptes à Soledot, en Anjou, sur fond de grande bourgeoisi­e pourrissan­te. Largement inspiré des rapports détestable­s et violents que l’auteur, « Brasse-Bouillon », entretenai­t dans son enfance avec sa mère, la tyrannique Folcoche. Folcoche, du patois angevin pour désigner la truie qui mange ses petits aussitôt après avoir mis bas. Folcoche, petit nom charmant né de la délicieuse contractio­n entre folle et cochonne. Abjecte, droite et sèche, elle est la mauvaise mère par excellence. Bazin n’épargne rien. Ni les terribles taloches, ni les privations de repas, ni le venin qui empêtre cet univers sans jeux ni rires où il faut trimer, obéir et souffrir. D’autres titres suivront. La Mort du petit cheval (1950, suite de Vipère au poing), Lève-toi et marche (1952), Cri de la chouette (1972, sur les dernières années de Folcoche)... Mais Bazin, qui fut longtemps président de l’Académie Goncourt, demeurera pour toujours liéàsa Vipère. À relire nécessaire­ment si vous êtes en mal de mots méchants, de vocabulair­e insultant et de punchlines bien noires du style, génial, de « Dès qu’elle ouvre la bouche, j’ai l’impression de recevoir un coup de pied au cul. C’est pas étonnant, avec ce menton en galoche» ou « Pourrir, c’est germer, donc vivre. »

La bestiole de la pochette de Mezzanine donne le ton. Étrange, menaçant, limite angoissant, mais non dépourvu de beauté, ce scarabée aux courbes acérées que l’on imagine grouillant et vorace, se détachant sur fond blanc. À l’intérieur, le 3e album de Massive Attack datant de 1998 (avant ça, Blue Lines donnait naissance en 1991 au mouvement trip-hop tandis que Protection confirmait le statut de pilier du genre au groupe anglais en 1994) s’ouvre sur une ambiance vicieuse, presque visqueuse et angoissant­e. Chef-d’oeuvre dark duquel se détachent Teardrop et Exchange, seuls titres relativeme­nt heureux et paisibles. Plusieurs chanteurs se partagent ici le butin. Horace Andy échoit des parties planantes, Elisabeth Fraser et Sara Jay apportent une touche de douce féminité, tandis que les patrons de Massive Attack se chargent du chant hip-hop. Atmosphéri­que mais pas ennuyeux, vaporeux parfois, mais en même temps terribleme­nt nerveux, Mezzanine fait figure d’album trip-hop idéal. Sans être, vingt-deux ans après sa sortie, touché par la morsure du temps.

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