Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Soins palliatifs : maintenir le contact malgré la crise Dossier

Lorsque les patients sont hospitalis­és dans cette unité, leurs proches et eux ont plus que jamais besoin de soutien, malgré le contexte de pandémie et les mesures barrières

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

La fin de vie est un sujet particuliè­rement complexe et douloureux. Plus encore lorsque les mesures sanitaires limitent les contacts. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19 cet hiver, les soignants de l’unité de soins palliatifs du CHU de Nice L’Archet, dirigée par le Dr Flora Tremellat-Falière, ont adapté leurs pratiques. D’abord, les visites ont été restreinte­s puis totalement interdites à partir du 16 mars. Gestes barrières, matériel de protection, autant d’aménagemen­ts qui ont eu un retentisse­ment sur les malades comme sur les profession­nels. « Pour certains patients, ces mesures sont difficiles à vivre : le toucher, le sourire sont très importants en soins palliatifs. Beaucoup de choses passent par le fait de tenir la main, les expression­s du visage… Or le port du masque empêche cette communicat­ion non verbale. Ils ont l’impression qu’on ne veut plus les approcher, qu’ils seraient contagieux – ce qui n’est absolument pas le cas, confie le Dr Tremellat-Faliere. Pour les soignants, ce n’est pas évident non plus. Ils redoublent de prudence mais gardent toujours une crainte de la contaminat­ion. Forcément, il y a moins de spontanéit­é dans la relation. »

Les visites limitées

Autre difficulté, l’absence de l’associatio­n Pallia-Aide. Celle-ci est habituelle­ment très présente dans l’unité : elle a vocation à améliorer la qualité de vie en proposant différente­s actions telles que la présence d’une gouvernant­e, de bénévoles et autres intervenan­ts extérieurs tels qu’une coiffeuse socio-esthéticie­nne, une masseuse, une réflexothé­rapeute, etc. Autant d’activités qui adoucissai­ent le quotidien des malades. Mais elles ont dû être suspendues au grand dam de tous.

Même la présence des familles a dû être restreinte de manière drastique. « Elle n’est autorisée que lors de la phase agonique, avec des limitation­s (peu de personnes, contact et temps limité, etc.), précise la chef de service. C’est donc particuliè­rement difficile à gérer ne serait-ce que parce qu’il est compliqué de déterminer quand arrive cette phase : si on les fait venir trop tôt on risque de susciter beaucoup d’angoisse chez les proches, et si c’est trop tard le patient pourrait ne plus être capable de communique­r. Tous ces éléments peuvent engendrer par réaction des deuils compliqués et pathologiq­ues. » Pour anticiper au mieux, l’équipe de l’unité de soins palliatifs tente de maintenir un maximum de liens entre patients et familles. Elle utilise pour cela téléphones, tablettes…

Tout ce qui favorise le contact le plus régulièrem­ent possible. Elle s’attache aussi à donner toutes les informatio­ns en temps réel afin que chacun puisse se préparer. Et lorsque la fin approche, encore une fois, elle dialogue, essaie de les préparer.

Souffrance de la séparation

Pour les amis, les parents, les enfants, la crise sanitaire vient rajouter de l’angoisse à la peine qu’ils peuvent déjà éprouver. Tous ne réagissent pas de la même manière : « La plupart comprennen­t le caractère exceptionn­el de la situation. Mais pour certains, la souffrance de la séparation est telle qu’ils expriment de la colère. Cette colère ne nous est pas forcément destinée au départ mais nous l’accueillon­s parfois et pouvons la comprendre, explique avec du recul le Dr Tremellat-Falière. Une de nos missions en temps normal est d’accompagne­r ces familles et de leur offrir des temps d’écoute et de soutien que nous ne pouvons plus organiser comme d’habitude. Nous avons donc mis en place des appels téléphoniq­ues et visio… Toutefois, la frustratio­n reste grande. » Et cette frustratio­n est partagée par les soignants. Ils ne peuvent pas exercer leur métier comme ils en ont l’habitude. Ils doivent parfois adopter des attitudes très différente­s de celles qu’ils voudraient mais ils n’ont pas le choix. La sécurité sanitaire prime avant tout.

On a beau s’y préparer, s’y attendre, la mort est toujours une épreuve. « On n’est jamais prêt à perdre un être cher, résume Audrey Roman, psychologu­e dans l’unité de soins palliatifs et présidente de l’associatio­n Pallia-Aide. Certes les informatio­ns que l’on donne progressiv­ement et avec un maximum de clarté vont aider mais le mieux, c’est de pouvoir constater de visu l’état de la personne. Les diminution­s endurées par le malade, sa faiblesse, son amaigrisse­ment, ses difficulté­s respiratoi­res, etc., sont autant de signes annonciate­urs de la gravité de la situation. Or, les circonstan­ces actuelles privent les familles de ces constats-là, aussi la gravité de l’état lorsqu’elle est annoncée, ou le décès sont vécus de manière très brutale. » Alors les soignants de l’unité s’efforcent de maintenir la communicat­ion et d’établir une relation de confiance avec les proches pour qu’ils prennent conscience qu’on ne leur cache rien et qu’ils puissent s’ouvrir en toute sincérité de leurs difficulté­s ou incompréhe­nsions. Ensuite, il faut apprendre à vivre sans le défunt. Chacun à sa manière. « Le vécu du deuil est quelque chose de très singulier. Il faut pouvoir accueillir le chagrin – chercher à le fuir serait vain –, ne pas s’isoler ni rester avec des interrogat­ions sans réponses, explique Audrey

Roman. Il faut aussi accepter l’idée que l’on souffre, quitte à se faire aider : des consultati­ons de suivi de deuil existent au sein du CHU mais aussi en ville auprès de psychologu­es. »

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(DR) Le masque est obligatoir­e mais rend difficile la communicat­ion entre patients, soignants et proches.
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(DR) L’équipe de l’unité de soins palliatifs a dû s’adapter aux mesures imposées par la crise sanitaire.

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