Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Erik Thiémé, homme libéré
C
omment un hyperactif tel qu’Erik Thiémé a-t-il vécu ces deux mois « d’enfermement » ? Comment cet amoureux fou de la mer, cet ancien champion du monde junior de planche à voile aujourd’hui à la tête d’une école renommée à l’Almanarre, est-il parvenu à regarder sa Méditerranée d’un peu plus loin que d’habitude pendant près de longs jours ? Heureux comme un gosse depuis le mai et la réouverture de l’accès à la Grande Bleue, l’incontournable figure hyéroise nous a reçus « chez lui », au Funboard center, en gardant certes ses distances physiques, mais avec la gouaille, la passion et la proximité qui le caractérisent. Et, sans cesse interrompu par des amis impatients de le saluer, a raconté son confinement. Celui d’un homme de la mer. Et le reste. Sans filtre...
Frigo en souffrance
« J’estime avoir de la chance. J’ai une grande maison, j’ai un terrain, j’ai une piscine. Et je venais travailler ici, au centre. Je ne vais pas me plaindre. Quand on voit les mecs enfermés dans les HLM, en famille... Nous, on était cinq dans la maison. Mes deux enfants (Lilou et Jimmy), la copine de Jimmy, ma femme et moi. Que des bouffeurs ! Ils m’ont démonté le frigo. Le budget bouffe a été multiplié par deux. »
Sensation de manque...
« Le matin, je me baignais de très bonne heure juste devant. Le parking était désert. J’ai vu la plage comme jamais je ne l’avais vue. C’est-à-dire sans personne. Pendant deux mois. Je peux dire, aux traces de pied, qui est passé sur la plage depuis mi-mars. La nuit, il est passé deux-trois personnes sur le sable. Et j’ai vu deux-trois lampes torches dans les rochers, de personnes qui venaient peut-être pêcher. Pour les gens qui vivent au bord de la mer, c’est vraiment un manque. Quelqu’un qui vit en ville, il s’en fout un petit peu. Mais pour les gens qui ont l’habitude de vivre dans l’eau tous les jours, c’était terrible. »
... et sentiment d’injustice
« Pour nous, à un moment, c’était totalement injuste. Autant il fallait faire gaffe au moment où c’était chaud, et on était les premiers à dire ‘‘restez chez vous’’ autant après... Quand tu pars naviguer, tu prends ta voile, tu pars en mer, qui tu vas gêner ? Qui tu peux contaminer ? Le mec, il est dans son appartement, il prend son paddle, il va tout de suite à l’eau - ce qu’on appelle le ‘‘surf and go’’ - il n’y a aucun risque. Au contraire : quand il ou elle va rentrer à la maison, il, ou elle, sera plus tranquille. Donc tout ça, ça nous mettait la pigne. »
Gens de la ville et gens de la mer
« On était à la limite de la révolution. Sans rentrer en conflit, on s’est battus. On a essayé de faire passer le message. Je pense qu’on parlait au nom de tous les ‘‘gens de la plage’’ : les pêcheurs, les nageurs, les kiteurs, les planchistes, et les plaisanciers. Parce que c’était une incohérence au niveau du jugement. On ne comprenait pas. On autorisait les magasins, où tout le monde est à la queue leu leu, et on n’autorisait pas la mer ? La nage. Les sports nautiques. Alors qu’il n’y a aucun contact. Ce sont des pensées de gens des villes. On est géré par des gens de la ville, qui ne comprennent pas les problèmes des gens de la mer. Les gens de la mer, ils ont besoin de l’eau. Un jour, ils ont envoyé un hélicoptère et un bateau pour aller sortir un jeune qui était allé surfer. Mais on n’a que ça à faire ? C’est ridicule. »
Intelligence collective
« On attend avec impatience, maintenant, que la Méditerranée soit ouverte pour de bon. Partout. Tout en étant intelligent, évidemment. Sans se coller, avec la retenue nécessaire de bord de plage, et en évitant les attroupements. De ce que je vois, les gens ont encore peur. Donc ils gardent spontanément leurs distances. Mais ils sont tellement contents de respirer...»
Mollo à la reprise
« Après plusieurs mois d’arrêt, il faut y aller plus doucement. C’est comme au ski, quand on débarque six mois après à la montagne. On est prêt physiquement, mais les muscles ne sont pas tout à fait les mêmes. Il faut rattaquer tranquillement. Moi j’ai repris un peu fort : il y avait 30 noeuds, 7 mètres, et au bout d’une heure, j’étais rincé. Il y a des muscles, je ne savais même plus qu’ils existaient. Moi qui étais connu pour ne jamais m’arrêter ! »
Optimisme pour l’été
« On a reçu tout le matos, toutes les dernières voiles. Et je vais préparer les cours de planche pour cet été. Des bruits courent qu’on sera cantonné à dix gamins par séance, au lieu de 15 habituellement. Mais ça ne change pas grand-chose. Même si on a eu une petite aide de 1 500 euros, ça fait deux mois que je ne me paye pas. Mais ça va retrouver tout doucement son rythme. Forcément, on se pose beaucoup de questions par rapport à la fréquentation de la plage, mais je ne suis pas inquiet. Parce que même s’il n’y a pas les étrangers, je pense qu’il y aura énormément de Français. Je suis optimiste. Les gens meurent d’envie de sortir. Ils ont les crochets. »