Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Christo avait été « emballé » par St-Tropez

Christo, 84 ans, s’est éteint dimanche à New York. Amoureux de la Côte depuis sa lune de miel avec Jeanne-Claude en 1962, il avait exposé souvent à la Fondation Maeght et chez Guy Pieters

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Christo s’est donc éteint sans avoir eu le temps de luimême « empaqueter » l’Arc de Triomphe à Paris. Son nouveau grand projet devait s’exposer du 6 au 18 avril 2020. Trente-cinq ans après le Pont-Neuf, un quart de siècle après le Reichstag, à Berlin. La nidificati­on d’un oiseau protégé en avait décidé autrement, reportant cette réalisatio­n au mois de septembre. C’était sans compter avec la pandémie Covid-19 : il faudra finalement patienter jusqu’à l’automne 2021, mais cette performanc­e posthume devrait attirer des millions de visiteurs. Les embûches ? Une constante dans le parcours de Christo et Jeanne-Claude. Lui à la conception, elle à la logistique, le duo a toujours affronté des aléas proportion­nels à l’ambition des projets. Produisant des pièces préparatoi­res hautement désirables – les grands dessins originaux s’échangent contre des centaines de milliers d’euros – pour financer, sans aucune subvention, des oeuvres éphémères, généraleme­nt adulées mais souvent... refusées. C’est le cas du Mastaba (1) d’Abu Dhabi, colossale structure de 410 000 barils de pétrole conçue en 1977 et qui n’a toujours pas vu le jour. Christo en avait montré une préfigurat­ion en 2016, sous la forme d’une pyramide d’un millier de barils colorés dans la cour de la Fondation Maeght, à SaintPaul. Où, dès 1967, il avait prévu d’empaqueter les grands arbres !

Grand optimiste

Ce grand optimiste ne se laissait jamais décourager par l’échec. « J’adore ce que je fais, j’adore la vie que j’ai », nous confiait-il en juin 2016. « En 50 ans, JeanneClau­de et moi-même n’avons jamais cessé de travailler. Vingt-deux de nos projets ont abouti, 37 ont été rejetés. Mais d’une certaine façon, nos opposants participen­t à leur existence en les rendant plus grands qu’ils ne le sont au départ. » C’est le cas de Over the River, consistant à draper une partie de la rivière Arkansas, dans le Colorado. Déchaîneme­nt des passions, vingt ans de lutte acharnée, 14 millions de dollars consignés : Christo se disait prêt à croiser le fer devant la Cour suprême des États-Unis. Il avait fini par jeter l’éponge en 2017, souhaitant voir ses idées se concrétise­r de son vivant. «Des milliers de gens pensent que ce sera beau, des milliers d’autres jugent que ce sera affreux. Quel peintre ou quel sculpteur peut se targuer de voir tant de personnes développer un avis sur une oeuvre qui n’existe pas encore ? Chaque projet développe sa propre identité et sa propre relation avec le public, à travers des dimensions auxquelles nous n’avions pas pensé et qui, pourtant, sont une part de la réalité. »

« Montrer la beauté »

Plus de 20 réalisatio­ns se sont donc succédé. En nous révélant le monde tel qu’il est, mais en nous le faisant voir autrement, Christo a fait rêver la planète. « Nos oeuvres n’ont ni message ni fonction. Elles n’ont aucun autre but que de montrer la beauté », insistait l’artiste en rappelant aussi ce principe, à ses yeux essentiel : « Nos oeuvres sont plus grandes que notre imaginatio­n. Par conséquent, toutes les interpréta­tions sont légitimes. » En 2016, Christo avait vu avec jubilation la naissance de ses Floating Piers (quais flottants) sur le lac d’Iseo, en Italie. Trois kilomètres de toile orange tendue sur une structure technologi­quement très complexe, pour faire d’un îlot une presqu’île et inviter la foule à marcher sur les eaux. En seize jours, 1,3 million de visiteurs s’y étaient précipités. À quatre heures de route de Nice, un spectacle magique et gratuit. Et le bonheur, pour l’artiste, de voir des familles entières fouler son oeuvre, le plus souvent pieds nus, pour éprouver de nouvelles sensations et découvrir Iseo sous un jour nouveau. «Je pensais que la plupart des gens parcourrai­ent quelques mètres et feraient demi-tour. Pas du tout. Tous ont traversé le lac alors qu’il ne s’agissait pas de faire du shopping, d’aller voir des amis ou d’attraper un avion. Juste le plaisir d’engager ses sens et de sentir cette différence. »

Bâtisseur d’éphémère

Ainsi vivait Christo. Bâtisseur de cathédrale­s soufflées par le vent et la pluie, tout entier absorbé par son art, plus grand que sa vie. Tous les Nouveaux Réalistes ont travaillé autour des objets. Arman les accumulait ou les tranchait, César les compressai­t, Raysse et Spoerri les ont assemblés ou collés. Christo, lui, les cachait. Pour souligner leur présence. Mais chez lui, cet ascète s’en passait : « Dans mon atelier de New York, je n’ai même pas de chaise. Je travaille debout, 15 heures par jour, sans aucun assistant. Je ne sais pas utiliser un ordinateur, je ne comprends rien au virtuel, je ne prends pas l’ascenseur, je n’aime pas le téléphone, je ne sais pas conduire. Ce que j’aime, c’est le réel, la physicalit­é de l’espace, l’architectu­re, la planificat­ion urbaine. Et notre grande satisfacti­on, avec Jeanne-Claude, aura été de voir se concrétise­r presque la moitié de nos projets. »

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(Photo Sébastien Botella) En , Christo érigeait son Mastaba d’un millier de barils de pétrole à la Fondation Maeght.

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