Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Ce gaz est toxique d’un point de vue neurologique »
À Marseille, le professeur Joëlle Micallef est responsable du Centre d’Évaluation et d’Information sur les Pharmacodépendances (CEIP) Paca et Corse, qui fait partie du réseau national d’addictovigilance, dont la mission est de repérer les conséquences sur la santé des substances (drogues, médicaments), y compris le protoxyde d’azote (PA) sur le cerveau.
Comment en vient-on à utiliser du protoxyde d’azote ?
L’usage médical de ce gaz anesthésique est très encadré à l’hôpital. Mais il a aussi un usage en cuisine, il se trouve dans des cartouches métalliques utilisées pour propulser de la crème. Il est détourné de cet usage par des jeunes, de plus ou moins à ans, qui l’aspirent dans des ballons lors de soirées.
Avec quelles conséquences sur la santé ?
Ils l’aspirent pour obtenir des effets euphorisants. Comme c’est très bref, ils multiplient les prises. Lors de ces prises aiguës, ils peuvent s’asphyxier, avoir des malaises, des pertes de connaissance, des vomissements. Il peut aussi y avoir des troubles psychiatriques, des hallucinations, de la confusion mentale. On est dans un usage chronique lorsque les prises se font tous les week-ends, avec une grande consommation de cartouches. Là, le gaz a un effet toxique sur les nerfs, comme ceux des jambes. Cela débute par des fourmillements et ça évolue en une polyneuropathie parce que le PA, en plus d’agir sur le cerveau, interagit avec la vitamine B, essentielle aux nerfs. C’est ce qui nous fait ressentir sur quoi on marche, le chaud et le froid, etc.
Comment se fait la prise en charge ?
Elle se fait à l’hôpital par des perfusions de vitamine B, puis de la rééducation. Les polyneuropathies sont assez rares chez les jeunes, cela doit interroger le professionnel de santé qui est face à cette situation.
Y a-t-il des séquelles ?
Dans certains cas, le PA pourrait avoir des atteintes neurologiques irréversibles. Lorsque la récupération n’est pas totale, le jeune peut conserver des difficultés à la marche. Plus on est diagnostiqué tôt, moins il y aura de séquelles. Il faut faire le travail jusqu’au bout, expliquer au jeune d’où vient son problème Après avoir posé le diagnostic médical, sans jugement moralisateur.
La situation est-elle préoccupante ?
Le problème avait émergé il y a plus de ans, et ça s’était arrêté. Cela nous préoccupe à nouveau depuis deux ans. Les CEIP mettent en commun tous les cas de complications. Nous avons eu un cas, puis deux, puis trois. Pour nous, spécialistes, cela suffit pour se dire qu’il se passe quelque chose. Ce n’est pas un épiphénomène. On voit que derrière cet usage, il y a une consommation récréative qui bascule vers une véritable conduite addictive. Dans le réseau national, l’association française des centres d’addictovigilance a alerté dès et a publié un communiqué en novembre sur l’augmentation des complications graves.
Les effets sont-ils les mêmes chez les filles et les garçons ?
Nous n’avons pas d’effet de genre démontré. Mais en pratique, c’est un produit plus consommé par les garçons que par les filles.
Que préconisez-vous ?
Cela touche une population vulnérable. Comment se fait-il que ce produit, très encadré à l’hôpital, puisse être acheté avec une telle facilité sur internet ? Plusieurs études ont montré que c’est le deuxième ou troisième produit le plus consommé après le cannabis. Et par analogie avec les médicaments, on risque de découvrir avec le temps d’autres effets. Dans le réseau national, nous avons tout un faisceau d’arguments qui nous pousse à nous mobiliser pour mener des actions de sensibilisation des acteurs de santé, des plus jeunes. Il serait opportun de réduire l’accès à ces produits.