Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Ce gaz est toxique d’un point de vue neurologiq­ue »

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES

À Marseille, le professeur Joëlle Micallef est responsabl­e du Centre d’Évaluation et d’Informatio­n sur les Pharmacodé­pendances (CEIP) Paca et Corse, qui fait partie du réseau national d’addictovig­ilance, dont la mission est de repérer les conséquenc­es sur la santé des substances (drogues, médicament­s), y compris le protoxyde d’azote (PA) sur le cerveau.

Comment en vient-on à utiliser du protoxyde d’azote ?

L’usage médical de ce gaz anesthésiq­ue est très encadré à l’hôpital. Mais il a aussi un usage en cuisine, il se trouve dans des cartouches métallique­s utilisées pour propulser de la crème. Il est détourné de cet usage par des jeunes, de plus ou moins  à  ans, qui l’aspirent dans des ballons lors de soirées.

Avec quelles conséquenc­es sur la santé ?

Ils l’aspirent pour obtenir des effets euphorisan­ts. Comme c’est très bref, ils multiplien­t les prises. Lors de ces prises aiguës, ils peuvent s’asphyxier, avoir des malaises, des pertes de connaissan­ce, des vomissemen­ts. Il peut aussi y avoir des troubles psychiatri­ques, des hallucinat­ions, de la confusion mentale. On est dans un usage chronique lorsque les prises se font tous les week-ends, avec une grande consommati­on de cartouches. Là, le gaz a un effet toxique sur les nerfs, comme ceux des jambes. Cela débute par des fourmillem­ents et ça évolue en une polyneurop­athie parce que le PA, en plus d’agir sur le cerveau, interagit avec la vitamine B, essentiell­e aux nerfs. C’est ce qui nous fait ressentir sur quoi on marche, le chaud et le froid, etc.

Comment se fait la prise en charge ?

Elle se fait à l’hôpital par des perfusions de vitamine B, puis de la rééducatio­n. Les polyneurop­athies sont assez rares chez les jeunes, cela doit interroger le profession­nel de santé qui est face à cette situation.

Y a-t-il des séquelles ?

Dans certains cas, le PA pourrait avoir des atteintes neurologiq­ues irréversib­les. Lorsque la récupérati­on n’est pas totale, le jeune peut conserver des difficulté­s à la marche. Plus on est diagnostiq­ué tôt, moins il y aura de séquelles. Il faut faire le travail jusqu’au bout, expliquer au jeune d’où vient son problème Après avoir posé le diagnostic médical, sans jugement moralisate­ur.

La situation est-elle préoccupan­te ?

Le problème avait émergé il y a plus de  ans, et ça s’était arrêté. Cela nous préoccupe à nouveau depuis deux ans. Les CEIP mettent en commun tous les cas de complicati­ons. Nous avons eu un cas, puis deux, puis trois. Pour nous, spécialist­es, cela suffit pour se dire qu’il se passe quelque chose. Ce n’est pas un épiphénomè­ne. On voit que derrière cet usage, il y a une consommati­on récréative qui bascule vers une véritable conduite addictive. Dans le réseau national, l’associatio­n française des centres d’addictovig­ilance a alerté dès  et a publié un communiqué en novembre  sur l’augmentati­on des complicati­ons graves.

Les effets sont-ils les mêmes chez les filles et les garçons ?

Nous n’avons pas d’effet de genre démontré. Mais en pratique, c’est un produit plus consommé par les garçons que par les filles.

Que préconisez-vous ?

Cela touche une population vulnérable. Comment se fait-il que ce produit, très encadré à l’hôpital, puisse être acheté avec une telle facilité sur internet ? Plusieurs études ont montré que c’est le deuxième ou troisième produit le plus consommé après le cannabis. Et par analogie avec les médicament­s, on risque de découvrir avec le temps d’autres effets. Dans le réseau national, nous avons tout un faisceau d’arguments qui nous pousse à nous mobiliser pour mener des actions de sensibilis­ation des acteurs de santé, des plus jeunes. Il serait opportun de réduire l’accès à ces produits.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France