Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Comment nous avons vécu heures en enfer...
Une journée dramatique précédant une nuit chaotique au coeur de l’apocalypse, avec pour épilogue un sauvetage par les pompiers. La vie du journaliste local réserve parfois des surprises
Comme tant d’autres, nous avons vécu des instants qui resteront à jamais gravés dans nos mémoires. Avec Christophe Chavignaud, notre photographe, ce qui devait se résumer à un reportage sur les aléas de la météo s’est traduit par un voyage au bout de la nuit. Ce récit a été commis d’un trait, dans la fatigue et la tristesse, au lendemain de la catastrophe. Il est plus parlé qu’écrit, mais résume nos pérégrinations, alors que nous étions les deux seuls journalistes présents à l’hypermarché du Salamandrier où la cellule de crise s’était reconstituée, après que la caserne des pompiers de Draguignan a été dévorée par la vague meurtrière. Récit...
torrentielle h : une pluie
Des trombes d’eau tropicales s’abattent sur la Dracénie. Vers 12 heures, la visite des berges sensibles de l’Argens dans Vidauban intra-muros nous rassure.
h : l’Argens tient son lit
Le fleuve tient son lit et devrait y rester, en principe. Une heure plus tard, après une brève accalmie, un ciel de nuit balance un torrent vertical et une première alerte nous transporte vers le boulevard des Oliviers, quartier encaissé de Draguignan, où une demi-douzaine de villas sont déjà pieds dans l’eau. Le petit canal d’arrosage est devenu monstre et les retenues d’eau sont impuissantes à contenir la masse opaque qui déferle.
h : premier bain du photographe
Premier bain pour Christophe, notre photographe. Le circuit dans la ville qui s’ensuit n’augure rien de bon. Certaines artères ont pris des allures de rivière et la circulation semble imperceptiblement se densifier. Créneau au centre de secours principal, où les traits se tendent à mesure que les appels se multiplient. Néanmoins, on gère encore. On fera le point un peu plus tard. Mais nous vient aux oreilles que la route menant à Flayosc est coupée pour cause d’inondation, au-delà du col de l’Ange dominant la cité du Dragon. Il n’a pas fini de rugir... Le trafic est aussi dense que l’averse agresse le pare-brise comme autant de mini-bombes à retardement.
milieu h : le déluge au des vignes
16 heures, photo faite d’un lac tenant lieu de route, nous nous engageons, à tort, vers la seule déviation en direction de Lorgues. Nous renonçons. Le déluge porte désormais son nom au milieu de vignes plantées sur un océan visqueux. Les chemins de traverse pour éviter la cohue en direction de la zone industrielle Saint-Hermentaire sont balisés de fontaines vomissant sur la route liquide et pierraille.
h : ça sent mauvais...
Retour au centre de secours où le lieutenant-colonel Grohin, commandant le groupe Est des pompiers, est venu suppléer le capitaine Goure. Pas forcément bon signe. Ce que confirme la présence du maire, Max Piselli, et de son équipe « catastrophe ». La sous-préfète Orzekowski est aussi annoncée. Ça craint, c’est désormais certain... Le quartier mitoyen de la Nartuby, proche de la furie, s’est mué en inextricable cohue automobile à cette heure de sortie du boulot. Photos en boîte, il nous faut regagner l’agence en centre-ville. Les portables nous ont déjà coupé du monde, à raison d’un appel victorieux sur vingt. Tentative par la route sud infructueuse, trop long. Au nord, trop engorgé. Boulevard Saint-Hermentaire, l’eau monte dangereusement. Subitement, la Nartuby vient d’exploser d’une effroyable colère. Elle emporte tout, détruit, désintègre. Monte jusqu’au toit des hangars où se réfugient de pauvres hères.
h : la nasse s’est refermée
La nasse s’est refermée. Le quartier est une île ceinte de flots fourbissant une haine rare. Pourquoi ? Un chef d’entreprise pleure ses murs, certes, mais surtout ses six employés sur le toit et dans les arbres, que des pompiers harnachés tentent de sauver via une tyrolienne, alors qu’un hélico manoeuvre plus haut.
h : le centre de secours avalé
Retour vers le centre de secours. Quel centre de secours ? Il n’existe plus, avalé par le torrent. Des pompiers hagards et déboussolés cherchent leurs chefs. Finalement réfugiés dans la salle de direction de l’hypermarché, hors d’eau, où se reconstitue à la hâte un nouveau centre opérationnel. Le Codis, lui aussi partiellement inondé, a pris la main de conserve et l’on traite les appels les plus urgents. Car Lorgues, La Motte, Les Arcs, Figanières, Le Muy, Taradeau... vivent aussi l’insoutenable.
h : les premières vies perdues
Les premières rumeurs de vies perdues arrivent. Dehors, l’enfer redouble, la nuit tombe et plusieurs centaines de personnes ont pris possession de la galerie marchande de l’hypermarché. Le directeur est homme de coeur et organise une distribution de vêtements, puis de nourriture et de boissons.
h : le stress monte au journal
Le stress monte au journal, où l’importance du drame ne fait plus de doute. Mais ni texte ni images de ce quartier névralgique ne parviennent. Pas d’électricité, des transmissions au compte-gouttes, le fil de l’information semble devoir se perdre dans l’opacité de la nuit. Dans le 4x4 de Christophe, je « griffouille » un papier qu’un miracle me permet de dicter à un camarade toulonnais.
h : une lueur d’espoir
Vient alors une lueur d’espoir : si, à l’inverse de la galerie marchande, le magasin est éclairé, c’est qu’il y a un groupe électrogène. Donc du jus ! Mais aussi un « ordi ».
h : les images passent
21 h 30, Christophe parvient à se procurer un lecteur de carte pour son appareil numérique et le directeur du magasin, charmant, nous ouvre ses PC. La connection est longue mais les images finissent par arriver au service photo.
forme h : le journal prend
Il est 22 heures, un nouveau papier, quelques réactions et le délai de bouclage fixé à 23 heures est tenu. Ouf !
h : la longue attente
S’ensuit une longue attente au PC opérationnel, où la sous-préfète et les pompiers s’activent. Les moyens affluent en même temps que les nouvelles sont effrayantes, en dépit du ballet incessant des hélicoptères qui évitent un carnage...
h : il faut sauver des vies
23 h 30, les premières équipes de plongeurs se mettent prudemment à l’eau. Il faut sauver les vies qui peuvent l’être.
h : une voiture sous les eaux
3 h 15, l’eau a baissé sensiblement. Nous tentons une incursion osée vers le pont de Lorgues. Ça passe. Devant nous s’étire la longue avenue Pierre-Brossolette : des monceaux de véhicules sont entremêlés, broyés, empilés, gisant dans une eau dont il est difficile d’appréhender la profondeur. On tente la traversée ! Mais une vague fait caler le moteur. Les phares s’éteignent. Impossible de redémarrer. Il faut sortir alors que l’habitacle se remplit d’eau dans la nuit noire. Puis avancer à tâtons, transis de froids, tremblants d’émotion comme de peur. Des centaines de mètres nous séparent de la terre ferme. On marche ainsi à tâtons, à quelques centimètres, peut-être, d’une bouche d’égout béante et fatale... Au loin, la lueur d’une barque métallique se dessine avec des hommes à bord. Le dernier appel de phares les aura peut-être attirés. Ouf, ils nous prennent sur le frêle esquif malgré l’injonction de Christophe de continuer leur mission vers des gens qui le méritent. Pas question pour eux !
h : vivant en route vers l’agence
Nous attaquons la dernière marche vers l’agence. 3 h 45, on ne dormira pas ou peu. Il faut repartir vers les premiers clichés à l’aube. La voiture est morte. Nous sommes vivants...